Юрий Малинин - Франция в эпоху позднего средневековья. Материалы научного наследия
Incapable de décrire en détail le timbre du seigneur de la Pous-sonière, il se justifie à nouveau:
Son tymbre n'estoit mie entier:
D'une esgrete demye antiere
Naissant d'un lion, par manière
Dont n'ay cognoissance planiere
Du lieu estoye bien arrière
Ou estoient ce jour les esbas. (str.161)
Il fait ainsi allusion au fait qu'il n'était pas encore à Saumur. Et quant à Guillaume Goffier, il ne connaît ni la couleur du caparaçon (houssure) ni le timbre. Cas exceptionnel qui a une cause aussi exceptionnelle:
Si je faulz, vueillez supplier:
Ceste heure estoie sus l'eau
Et doubte avoye de noyer
Tout me commançoit ennuyer;
Housseure et tymbre oublier
Me fit ce jour, puis me fut beau. (str. 141)
Ainsi c'est au catalogue presque protocolaire des noms des participants, des écus, de la couleur des caparaçons et des figures des timbres, que se limite la commande. Et son but est parfaitement clair: imprimer dans la mémoire de la postérité les hauts faits des vaillants chevaliers:
Affin qu'il en soit longuement
En très hault honneur souvenance. (str. 8)
C'est là que se trouve le sens de toute la littérature de chevalerie, qui avait pour mission d'assurer à ses héros une immortalité terrestre.
Il n'était d'ailleurs pas si important pour un chevalier de remporter la victoire ou d'être vaincu. L'honneur, la valeur la plus haute de la chevalerie, qui se cristallise à la fin du Moyen Âge, ne dépendait pas du succès, mais de la vaillance et de la vertu.
À ce propos Antoine de la Salle, un des juges de la joute de Saumur, donne par la bouche de l'héroiine de son roman le Petit Jehan de Saintré, ces instructions: «Pensez de bien faire et vertueusement perdez ou gaignez honnorablement, car quoy que de vous ad-viengne à ung tel et sy puissant homme, vous n'y povez avoir que honneur».{637} Aussi l'auteur du Pas de Saumur, ne trouve-t-il pas, semble-t-il, nécessaire d'expliquer qui est sorti vainqueur de chaque duel, car ce n'était pas tant la victoire qui avait du prix que la vaillance et l'honneur.
Mais si l'indication des noms de tous les participants était la condition sine qua non d'une telle description et si l'auteur suit ici une ancienne tradition, la description des armes sur les écus, des caparaçons et surtout des timbres, était vraisemblablement une exigence particulière du roi René. De fait celui-ci accordait une très grande importance aux armes et aux timbres, à la différence des autres organisateurs de tournois et de joutes. A. de la Salle y fait allusion dans son ouvrage «Des anciens tournois et faicts d'armes», qui rappelle la joute organisée par le roi René en 1445 à Nancy à l'occasion du départ pour l'Angleterre de sa fille Marguerite. Le roi ordonna alors de faire savoir par des hérauts que tous ceux qui désiraient prendre part à la compétition devaient obligatoirement avoir sur leur heaume les timbres convenables et aussi des lambrequins et des écus avec leurs armes. Cette exigence ne se généralisa pas dans les tournois et les joutes, et La Salle remarque donc que:
«Et ce fist-il, pour eux josnes et simples gentilshommes recorder leurs haichemens et blasons d'armes, par leurs simplesses oublyez. Et car nul ne devoit jouster, se il n'avoit son haichement sur son heaume, et son escu couvert de ses armes, furent plusieurs bien nobles hommes de ce royaume, qui à moy vinrent, se je savoye quelz armes ils portoient, dont l'un… me dist: “ha, mon père, se vous ne me secourez, je suis empeschierz, car vous savez que on ne peust jouster, qui n'a son tymbre sur son chief et son escu de ses armes, et par ma foi, je ne le sçay pas bien”».{638}
Aussi a-t-on d'assez bonnes raisons de supposer que si l'auteur reçut la commande de composer pour le roi René une description poétique de la joute, il lui fut indiqué précisément ce qui devait être représenté. Voilà pourquoi la description des armes, des caparaçons, et des timbres tient une place si essentielle. Mais de qui reçut-il cette commande? Car, dit-il, il ne connaissait aucune des personnalités.
Pourtant trois des participants lui étaient connus. Et d'abord le plus proche compagnon d'armes du roi René, le sénéchal de Poitou et de Provence Louis de Beauvau, et sa femme, Jeanne de Beauvau. Il dit lui-même qu'il connaît celle-ci, lorsqu'il parle de la présence de dames à la fête et remarque:
De dames y eut habondance
Desquelles je n'ay cognoissance
Fors de la plus doulce en France:
Ma dame de Beauvau. (str.42)
Cette épithète de «la plus doulce en France», il n'en gratifie même pas l'épouse de René, la reine Isabelle, à laquelle, bien sûr, il rend un hommage positif. Il ne dit pas expressément qu'il connaît Louis de Beauvau, mais les éloges dont il le comble, l'attestent assurément (str. 70). Notre auteur ne prodigue des éloges aussi généreux qu'à un seul personnage, Jehan de Montejean dont il écrit en particulier:
Jure a Dieu et a sainte Luce
Que, si j'avoie esté en Pruce,
Sa layaulté recouvrée eusse.
Autant vouldroie son renom
Que proesse que avoir sceusse:
En luy n'a desdaing ne repusse
Et trop mains mal qu'en une pusse.
Et par tous lieux tel le tien on. (str. 190)
Sur le caparaçon de son cheval étaient cousues les lettres J et B. Étaient-ce les initiales de Jeanne de Beauvau?
Bien sûr tout ceci nous autorise seulement à dire que notre auteur connaissait quelque peu ces gens. Louis de Beauvau, si l'on en juge par les éloges que notre auteur fait de sa générosité, avait vraisemblablement été à un moment ou à un autre son bienfaiteur. Enfin on peut supposer que connaissant parfaitement les goûts du roi René, il fut le commanditaire de la description de la joute. Louis de Beauvau n'était lui-même pas étranger aux exercices poétiques, et il écrivit plus tard un poème sur la joute de Tarascon de 1449. Et si de quelque façon il connaissait notre auteur, il a pu aussi connaître sa capacité à s'acquitter d'une telle tâche.
Notre auteur, effectivement, est un assez bon versificateur, il observe avec rigueur dans chaque strophe le système des rimes, ce qui est chez lui une préoccupation particulière (str. 242). Cela montre que c'était un homme cultivé et qu'il avait déjà composé des œuvres poétiques. Lesquelles? On ne le sait pas, mais on peut dire avec certitude que décrire des fêtes de chevalerie était pour lui une nouveauté. Il se sent trop mal assuré dans cette carrière et craint trop de dire les choses autrement qu'il faut. Il s'excuse de
… mon entendement mineur
Qui n'a sentement de bien dire
En chouse qui soit de valeur. (str. 244)
Il ne s'agit pas ici d'humilité et d'autodénigrement, si caractéristiques des écrivains médiévaux, particulièrement d'état religieux, mais précisément de la peur de paraître gauche et malhabile aux yeux des gens du monde;
La rime changée n'ay point,
Doubtant que de mondanité
Aucun m'eust argué et point.
Homs suis non usant de prepoint. (str. 242)
Aussi en s'excusant pour sa langue et son style, il parle de sa modeste position et de l'éducation qu'il a reçue dans son ermitage forestier. La véracité du récit constitue son souci particulier:
Affin que devant le doctour
Je ne sois trouvé mentour. (str. 6)
Il ne manque pas une occasion de dire d'où il tire telle ou telle information, car quant à lui il est arrivé en retard à la fête et a dû ou questionner les témoins oculaires ou utiliser les notes des secrétaires qui étaient présents à la tribune aux côtés des juges. Mais souvent il lui manque quelques éléments, et alors il s'explique et promet de découvrir plus tard ce qui lui échappe encore. Sous ce rapport notre auteur se comporte comme beaucoup d'autres auteurs de son temps pour qui la vérité était un des buts les plus importants de la relation d'événements. Et cette vérité était atteinte avant tout par l'expérience, c'est-à-dire par l'observation personnelle, et aussi grâce au questionnement de témoins oculaires. Mais à la différence de beaucoup d'autres, la quête de la vérité est chez notre auteur colorée d'une charge émotionnelle particulière. Comme s'il craignait les reproches, il insiste constamment sur la véracité de ses paroles et même s'écrie:
Je veul mon compaignon pendu
Si de tout cecy je vous mens. (str. 218)
Quand a-t-il travaillé sur son œuvre? Il en a reçu la commande, on peut le supposer, lors de son arrivée à Saumur, bien qu'à la vérité on ne puisse exclure la possibilité qu'il ait eu spontanément l'intention de décrire les festivités, en dehors de toute commande, mais celle-ci le força à diriger l'attention sur ce qui intéressait le roi René.
Jusqu'à ce qu'on se séparât il rassembla des informations mais il n'eut pas le temps d'en obtenir beaucoup, ce dont il se plaint au début de son poème. Exposant le vaste plan de sa description, il remarque que
Des preux vous feray mention
Le mieub a mon entencion
Ne puis si toust car action
Nay de l'escript ne instruction… (str. 7)
Néanmoins, malgré le défaut d'informations, il se mit au travail sans désemparer. Pendant qu'il compose il reçoit sans cesse de nouveaux renseignements que, semble-t-il, quelqu'un lui communique. Parlant de l'un des participants à la joute, Jean Cosse, il remarque
Du tymbre ne peu bonnement
Deviser mes présentement
Ay receu par escript comment
Tymbre estoit, dont vous diray
Quant ressaudra prochinement,
Et des autres pareilement,
Dont n'ay fait au commencement.
Mension, je m'acquicteray. (str. 64)
Il veut dire qu'il donnera la description des heaumes au fur et à mesure que ces chevaliers apparaîtront en lice au cours du récit, car beaucoup d'entre eux furent engagés plusieurs fois.
Les informations nécessaires apparemment ne manquaient pas, aussi notre auteur promet-il qu'il donnera plus tard une description plus complète et plus accomplie des festivités. De ce qu'il a écrit, voici ce qu'il dit:
… cest dictier notement fait
Qui n'est encor, a mon advis,
Parachevé, mes se je vye,
En la correction des vifs
Mectray mon pouvre diet mal fait. (str. 214)
Il compte pour son travail à venir sur la collaboration des participants qu'il n'a pas vus et avec lesquels il n'a pas eu le temps de s'entretenir, mais il craint qu'ils ne soient plus de ce monde. Aussi citant l'un ou l'autre de ceux-ci, il ajoute assez souvent:
Je prie a Dieu, s'ils ne sont vifs,
Qu'en vueille héberger leurs âmes
Au royaume de paradis. (str. 130)
Ou
S'il est mort, Dieu luy dont pardon. (str. 208)
Il donne l'impression d'avoir écrit assez longtemps après la joute, à un moment où beaucoup avaient déjà eu le temps de mourir. Mais cette impression est fausse, et il s'est mis au travail très vite après la clôture de la joute. Mais la vie humaine était alors fragile et courte, particulièrement la vie d'un soldat. Bien que la trêve entre les rois anglais et français ne datât que de la veille, la guerre civile et ses affrontements ne cessaient pas, et un chevalier pouvait mourir à n'importe quel moment. Aussi notre auteur a-t-il des craintes pour la survie des participants.
En outre il compte sur ses futurs lecteurs, qui s'intéresseront à son œuvre quand tous les personnages cités par lui seront sans doute déjà morts depuis longtemps, et il veut que l'on prie pour le salut de leurs âmes. Parlant du roi René, il écrit:
Du prince dont chascun dira
Honneur, qui ce dit, cy lira
Et pour son âme priera
Qu'elle soit en paradis mise. (str. 174)
Notre auteur note assez précisément, comme le remarque avec justesse G. Bianciotto,{639} l'époque de la composition de son?uvre. De fait, s'adressant au roi, il dit que
Ce dit fait ce darrain esté. (str. 244)
Dans cette phrase, pas d'indication de l'année, et cela pouvait être l'été 1446 mais pas obligatoirement. L'année paraît clairement dans une autre phrase:
Le pas d'armes, qui commença
En juing, qui nagueres passa. (str. 14)
Dans ce cas il s'agit sans aucun doute de 1446. Selon G. Bianciotto, la composition alla d'août 1446 à février 1447, puisqu'en février le roi René partit pour la Provence, où notre auteur figurait vraisemblablement dans sa suite.{640} Aussi se hâta-t-il de terminer son travail, dont il dit: