Константин Бальмонт - Константин Бальмонт и поэзия французского языка/Konstantin Balmont et la poésie de langue française [билингва ru-fr]
1895
Она умерла, умерла, она умерла от любви.
С рассветом ее унесли, и за гробом немногие шли.
Ее схоронили одну, одну, как она умерла,
Ее схоронили одну, как она перед смертью была.
И с песней вернулись они: «Кому суждено — так умрет».
И пели, и пели они: «Для каждого есть свой черед.
Она умерла, умерла, она умерла от любви».
Ее унесли — и опять работать, работать пошли.
Le ciel est gai, c'est joli mai/2
La mer brille au-dessus de la haie, la mer brille comme une coquille. On a envie de la pêcher. Le ciel est gai, c'est joli Mai.
C'est doux la mer au-dessus de la haie, c'est doux comme une main d'enfant. On a envie de la caresser. Le ciel est gai, c'est joli Mai.
1895
Море блестит за изгородью,
Море блестит, как раковина.
Как бы его поймать? — Поймай!
Это веселый, веселый май.
Нежно море за изгородью,
Нежно, как руки детские.
Так бы его и ласкал. — Ласкай!
Это веселый, веселый май.
Hymne dans la nuit/3
Laisse nager le ciel entier dans tes yeux sombres, et mêle ton silence à l'ombre de la terre: si ta vie ne fait pas une ombre sur son ombre, tes yeux et sa rosée sont les miroirs des sphères.
À l'espalier des nuits aux branches invisibles, vois briller ces fleurs d'or, espoir de notre vie, vois scintiller sur nous, — scels d'or des vies futures, — nos étoiles visibles aux arbres de la nuit.
Contemple, sois ta chose, laisse penser tes sens, éprends-toi de toi-même épars dans cette vie. Laisse ordonner le ciel à tes yeux, sans comprendre, et crée de ton silence la musique des nuits.
1896
Прими всю глубь небес в твои глаза с их тьмою,
Своим молчанием проникни в тень земли, —
И если жизнь твоя той тени не усилит,
Огни далеких сфер в них зеркало нашли.
Там изгородь ночей с незримыми ветвями
Хранит цветы огня, надежду наших дней, —
Печати светлые грядущих наших жизней,
Созвездья, зримые немым ветвям ночей.
Гляди, будь сам в себе, брось чувства в область мысли,
Собою увлекись, будь на земле ничей, —
Без понимания, глазами слушай небо.
Твое молчание есть музыка ночей.
La reine à la mer/4
Un roi conquit la reine, avec ses noirs vaisseaux. La reine n'a plus de peine, est douce comme un agneau.
1895
Король покорил королеву
Черными своими кораблями.
И она «прости» сказала гневу,
И глядит покорными глазами.
La vie/5
Au premier son des cloches: «C'est Jésus dans sa crèche…»
Les cloches ont redoublé: «Ô gué, mon fiancé!»
Et puis c'est tout de suite la cloche des trépassés.
1895
Первый звон колоколов —
«Это в яслях Царь Небесный!»
Звон сменился перезвоном —
«Мой жених! Скорей, скорей!»
И сейчас же вслед за этим —
звон протяжный похорон.
Mon portrait/6
Mes yeux, comme deux diamants noirs, brillent sous mon chapeau Rembrandt: ma redingote est noire; noirs, mes souliers vernis reluisants.
Cheveux noirs serrant les joues pâles. Un long nez tombant de Valois. Et fleurant la malignité, j'ai la raideur de la fierté.
Sourire faux, regard sincère (Nature aussi, tu l'as permis!), et j'ai l'air de mâcher du buis quand je cause avec le faux-frère.
J'eusse aimé beaucoup être roi: quelque Louis XIII fatal. — Bien malin qui déniche en moi le poète sentimental.
Dieu, cependant, m'a fait un cœur, à moi comme à tous autres, hélas! Il s'est amusé, le Seigneur, à mettre du feu dans la glace.
Je ferai vibrer toutes les lyres. L'âme humaine est ma religion. L'or se mêle, en mes réflexions, au sang, aux roses et à Shakespeare.
1902
Мои глаза — два черных бриллианта,
Они блестят под шляпою Рембрандта,
Сюртук мой черен, черны башмаки,
И ток волос чернеет вдоль щеки.
Зачуяв злость, надменен я, конечно,
Улыбка лжива, взор горит сердечно.
Себе я вид преважный сотворю,
Когда с фальшивым братом говорю.
Хотел бы принцем быть я доскональным,
Людовиком тринадцатым фатальным,
И кто во мне, чувствительность поняв,
Найдет поэта, очень он лукав.
Однако, Бог, как рифму в важном гимне,
Дал сердце мне — как всем другим — увы мне,
Судьба, в забаве спутав смысл и счет,
Огонь горячий заложила в лед.
Все струны дрогнут, предо мной сверкая,
Религия моя — душа людская.
Когда пою, в мой входят звонкий пир
Кровь, золото, и розы, и Шекспир.
Les deux âmes/7
Sous le soleil rouge, au vent doré du soir, peureuse des nuits, mon âme tremblante…
Sous la lune bleue, au vent doré du soir, heureuse des nuits, ton âme chantante…
Mais, chez nous l'ombre, au feu de mon regard, peureuse du jour, ton âme a tremblé.
Mais, chez nous dans l'ombre, au clair de ton regard, heureuse du jour, mon âme a chanté.
1896
Под солнцем ярко-красным,
В златистом ветре вечера,
Пугаяся ночей,
Моя душа дрожащая…
Под голубой луной,
В златистом ветре вечера,
Счастливица ночей,
Твоя душа поющая…
Но здесь у нас в тени,
В огне моих очей,
Пугаясь света дня,
Твоя душа дрожит.
Но здесь у нас в тени,
В лучах твоих очей,
Счастливая от дня,
Моя душа поет.
La grande ivresse/8
Par les nuits d'été bleues où chantent les cigales, Dieu verse sur la France une coupe d'étoiles. Le vent porte à ma lèvre un goût du ciel d'été! Je veux boire à l'espace fraîchement argenté.
L'air du soir est pour moi le bord de la coupe froide où, les yeux mi-fermés et la bouche goulue, je bois comme le jus pressé d'une grenade, la fraicheur étoilée qui se répand des nues.
Couché sur un gazon dont l'herbe est encor chaude de s'être prélassée sous l'haleine du jour, oh! que je viderais, ce soir, avec amour, la coupe immense et bleue où le firmament rôde!
Suis-je Bacchus ou Pan? je m'enivre d'espace, et j'apaise ma fièvre à la fraicheur des nuits. La bouche ouverte au ciel où grelottent les astres, que le ciel coule en moi! que je me fonde en lui!
Enivrés par l'espace et les cieux étoilés, Byron et Lamartine, Hugo, Shelley sont morts. L'espace est toujours là: il coule illimité: à peine ivre il m'emporte, et j'avais soif encore!
1902
Ночами лета голубыми,
Когда поют стрекозы,
На Францию Бог пролил чашу звезд.
До губ моих доносит ветер
Вкус неба летнего — я пью
Пространство, что свежо осеребрилось.
Вечерний воздух — край холодной чаши.
Полузакрыв свои глаза,
Пью жадным ртом, как будто сок граната,
Ту свежесть звездную, что льется от небес.
И лежа на траве,
Еще от ласки дня не охладевшей,
С какой любовью я испил бы,
Вот в этот вечер,
Безмерную ту чашу голубую,
Где бродит небосвод.
Не Вакх ли я? Не Пан ли? Я пьянюсь
Пространством, и горячее дыханье
Я укрощаю свежестью ночей.
Раскрыты губы небу, где трепещут
Созвездья — да в меня стечет все небо!
В нем да растаю я!
Пространством опьянившись, небом звездным,
Гюго и Байрон, Ламартин и Шелли
Уж умерли. А все ж пространство — там,
Течет безгранное. Едва им опьянился,
И мчит меня, и пить хочу, еще!
Charles van Lerberghe
Шарль ван Лерберг
Ballade/Баллада
O Mère! qu'est-ce donc ce grand bruit dans la nuit?
O Mère! qu'est-ce donc qui souffle et hurle ainsi?
— Il neige. C'est la bise qui souffle en tempête
Dans la neige, et ce sont de pauvres bêtes
Qui ne peuvent dormir, de faim et de froid,
Qui soufflent, qui s'agitent, qui courent dans le bois
Par sauts et par bonds; qui vont,
Comme les mendiants, clopin, clopant,
Où va le froid, où va le vent,
Où va la neige, où va le sang,
Au fond du bois, vers une humble auge
Où brûle un peu de feu d'étoile sur la paille;
Là-bas, vers le triste et pauvre berceau,
Où vient de naître un petit agneau
Que lèche sa mère de sa langue rose;
Et toutes ont de pauvres robes,
Beiges, grises, noires, brunes,
Couleur de soir, couleur de brume,
Couleur de terre et de misère,
Et toutes souffrent dans le vent qui souffle
Et hurlent et beuglent, et jappent et miaulent,
Et le vent hurle et beugle,
Et souffle dans ses trompes rauques, et dans ses cors de corne,
Et siffle dans ses flûtes aiguës, et claque des dents.
Et les sapins aussi font un long bruit strident.
Des brebis bêlent, des faons râlent,
Un cerf brame épouvantablement;
Des biches passent, une flèche dans le flanc,
Et des lièvres dont le sang met des taches dans la neige,
Il est aussi de pauvres oiseaux,
Des cailles, des grives, des perdreaux,
Des colombes, qui volent avec des ailes cassées,
Des cous tordus et des pattes fauchées,
Ou tombent — le bec ouvert — plein de sang.
Et des plumes rouges volent dans la neige et dans le vent.
C'est le massacre des innocents.
C'est la détresse humble et cachée
Des faibles, des timides, et des doux…
Pourtant, il y a les corbeaux et les loups.
― Et que disent-elles?
― Elles disent: Faim! Faim!
Encore, et toujours, et sans cesse et sans fin:
Faim! Et les petits disent: Faim! et les vieux disent: Faim
Notre Père! Notre Père! Faim! Faim! Faim!
Notre Père! Notre pain!
Et d'autres, à la fois, clament faim et froid,
Criaillent: Faim! Croassent: froid!
― Et les poissons que disent-ils?
― Les poissons sont au fond de l'étang.
Ils regardent sous la glace avec de grands yeux navrants.
Ils demandent, dans leurs prières,
De l'eau, de l'air, tristement à voix basse;
Car l'eau gèle jusqu'а terre,
Car ils étouffent, et vont mourir.
Ils prient dans les profondeurs,
Et leurs voix mornes et crépusculaires
S'élèvent des grands étangs solitaires…
Mais personne ne les entend.
― Et que font les hiboux?
― Ils volent sur la ville, dans les ténèbres,
Comme des cloches funèbres;
Ils crient: Unissez-vous! Unissez-vous!
D'un ton très plaintif et très doux.
Et c'est la lamentation suprême.
Car les loups et les corbeaux
Ont mangé le petit agneau,
Et sa mère lèche son sang
En pleurant et en bêlant;
Et quand on l'entend, le cœur se fend!
Car la misère est sur la terre;
Et l'universel hurlement
Gronde et monte vers le ciel sombre,
Vers le ciel implacablement!
― Ô mère! Ecoute!… Il semble aussi
Qu'une voix très lointaine chante…
Où est-ce ta voix qui chante ainsi?
Il fait si noir; j'ai peur. Est-ce qu'il neige encore?
La lampe s'est éteinte et le feu s'est éteint.
La nuit touche mes yeux. Je m'endors et je pleure…
Ô mère! Donne la bénédiction du soir
A mon cœur qui a pitié,
Et chante-moi, en me berçant,
Cette chanson plaintive et touchante
Qu'ils chantent, là-bas, sans fin, sans fin…
Mère, embrasse-moi, comme je t'embrasse,
Pour tous ceux qui ont faim et froid
Dans le vent, dans la neige et dans la glace.
Et dis-moi, ne vais-je pas rêver, tantôt,
Que je suis le petit agneau
Et que le loup me mange?
― Dors, enfant! Ce n'est qu'un songe…
Dors, l'aube est proche. Dans le matin
Vont sonner les cloches d'or. Repose,
Il passe un souffle d'avril lointain.
La neige se fond. Voici les roses…
― Ô Mère! Alors, comme un bon ange,
Prends-moi dans tes bras,
Pendant que le loup me mange.
Reste près de moi.
Embrasse-moi…
1897