KnigaRead.com/

Simenon, Georges - Maigret et son mort

На нашем сайте KnigaRead.com Вы можете абсолютно бесплатно читать книгу онлайн Simenon, "Maigret et son mort" бесплатно, без регистрации.
Перейти на страницу:

L’hôtelier avait encore quelque chose à dire, mais il hésitait.

— Si par hasard on venait... est-ce que... est-ce que vous m’autorisez à me servir de mon revolver ?

— Tu t’aperçois que tu en sais trop long, n’est-ce pas, et qu’ils pourraient avoir l’idée de te faire subir le même sort qu’à Victor ?

— J’ai peur.

— Un agent restera dans la rue.

— On peut venir par les cours...

— J’y pensais. J’en mettrai un autre en faction rue Vieille-du-Temple aussi.

Les rues étaient désertes, et le silence surprenait après l’agitation des dernières heures. Il n’y avait plus aucune trace de la rafle. Les lumières s’étaient éteintes aux fenêtres. Tout le monde dormait, sauf ceux qu’on avait emmenés au Dépôt, sauf Maria qui devait être en train d’accoucher à l’hôpital, tandis que Lucas faisait les cent pas devant sa porte.

Il posta deux hommes comme il l’avait promis, leur donna des instructions détaillées, fut un bon moment à attendre un taxi rue de Rivoli. La nuit était claire et fraîche.

Il hésita en montant dans la voiture. Est-ce qu’il n’avait pas dormi la nuit précédente ? N’avait-il pas eu trois jours et trois nuits pour se reposer pendant sa fameuse bronchite ? Moers avait-il le temps de dormir ?

— Où est-ce que nous trouverons quelque chose d’ouvert ? questionna-t-il.

Il avait faim, tout à coup. Faim et soif. L’image d’un verre de bière bien fraîche, à la mousse argentée, lui faisait monter l’eau à la bouche.

— En dehors des boîtes de nuit, je ne vois guère que La Coupole, ou les petits bistrots des Halles.

Il le savait. Pourquoi avait-il posé la question ?

— À La Coupole.

La grande salle était fermée, mais le bar restait ouvert, avec quelques habitués somnolents. Il se fit servir deux magnifiques sandwiches au jambon, but trois demis presque coup sur coup. Il avait gardé son taxi. Il était quatre heures du matin.

— Quai des Orfèvres.

En route, il se ravisa.

— Allez plutôt au Dépôt, quai de l’Horloge.

Tout son monde était là, et l’odeur rappelait celle de la rue du Roi-de-Sicile. On avait parqué les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, avec tous les clochards, tous les ivrognes, toutes les filles soumises ramassées pendant la nuit dans Paris.

Les uns dormaient, couchés sur les planches. Des habitués avaient retiré leurs souliers et massaient leurs pieds douloureux. Des femmes, à travers les grilles, plaisantaient avec les gardiens, et parfois l’une d’elles, par défi, se troussait jusqu’à la ceinture.

Les agents jouaient aux cartes près d’un poêle sur lequel chauffait du café. Des inspecteurs attendaient les ordres de Maigret.

Ce n’est qu’à huit heures, théoriquement, qu’on éplucherait les papiers de tout le monde, qu’on les enverrait là-haut, où on les mettrait nus comme des vers pour la visite médicale et l’anthropométrie.

— Commencez toujours, mes enfants. Vous laisserez le soin des papiers au commissaire de jour. Je voudrais que vous preniez un à un ceux de la rue du Roi-de-Sicile, surtout les femmes... Plus particulièrement ceux et celles qui habitent l’Hôtel du Lion d’Or, s’il y en a...

— Une femme et deux hommes.

— Bon. Faites-leur sortir tout ce qu’ils savent au sujet des Tchèques et de Maria.

Il leur donna une brève description des membres de la bande, et ils allèrent s’installer chacun à une table.

L’interrogatoire commença, qui allait durer le reste de la nuit, tandis que Maigret, par des couloirs obscurs où il tâtonnait pour trouver le commutateur, traversait le Palais de Justice et gagnait son bureau.

Joseph, le garçon de nuit, l’accueillait, et cela faisait plaisir de retrouver sa bonne tête. Il y avait de la lumière dans le bureau des inspecteurs où, justement, on entendait la sonnerie du téléphone.

Maigret entra. Bodin était à l’appareil et disait :

— Je vous le passe... Il rentre à l’instant...

C’était Lucas, qui annonçait au commissaire que Maria venait d’accoucher d’un garçon de neuf livres. Elle avait tenté de se précipiter hors de son lit quand l’infirmière avait voulu quitter la chambre avec le bébé pour lui faire sa toilette.

CHAPITRE VII

Quand il descendit de taxi rue de Sèvres, en face de l’hôpital Laennec, Maigret vit une grosse voiture portant le matricule du corps diplomatique. Sous le portail, un homme long et maigre attendait, vêtu avec une correction décourageante, les gestes si impeccablement étudiés, les expressions de physionomie si parfaites qu’on n’avait pas envie d’écouter les syllabes qu’il prononçait avec lenteur, mais bien de le regarder comme un spectacle.

Pourtant, ce n’était même pas le dernier secrétaire de l’ambassade de Tchécoslovaquie, mais un simple employé de la chancellerie.

— Son Excellence m’a dit..., commença-t-il.

Et Maigret, pour qui les dernières heures écoulées comptaient parmi les plus occupées de sa vie, se contenta de grommeler en prenant les devants :

— Ça va !

Il est vrai que, dans l’escalier de l’hôpital, il se retourna pour poser une question qui fit sursauter son compagnon.

— Vous parlez le tchèque, au moins ?.

Lucas était dans le couloir, accoudé à une fenêtre, à regarder mélancoliquement dans le jardin. Il faisait gris, ce matin-là, pluvieux. Une infirmière était venue le prier de ne pas fumer, et il soupira en désignant du doigt la pipe de Maigret.

— On va vous la faire éteindre, patron.

Ils durent attendre que l’infirmière de garde vînt les chercher. C’était une femme entre deux âges, qui se montrait insensible à la célébrité de Maigret et qui ne devait pas aimer la police.

— Il ne faudra pas la fatiguer. Quand je vous ferai signe de sortir, je vous prierai de ne pas insister.

Maigret haussa les épaules et pénétra le premier dans la petite chambre blanche où Maria semblait sommeiller, tandis que son bébé dormait dans un berceau à côté de son lit. Pourtant un regard filtrait entre les cils mi-clos de la femme, attentif aux faits et gestes des deux hommes.

Elle était aussi belle que la nuit rue du Roi-de-Sicile. Son teint était plus pâle. On avait tressé ses cheveux en deux grosses nattes qui faisaient le tour de sa tête.

Maigret, après avoir déposé son chapeau sur une chaise, dit au Tchèque :

— Voulez-vous lui demander son nom ?

Il attendit, sans beaucoup d’espoir. En effet, la jeune femme se contenta de regarder d’un œil haineux l’homme qui lui parlait sa langue.

— Elle ne répond pas, fit le traducteur. Autant que je puisse en juger, elle n’est pas Tchèque, mais Slovaque. Je lui ai parlé les deux langues, et c’est quand j’ai employé la seconde qu’elle a tressailli.

— Veuillez lui expliquer que je lui conseille vivement de répondre à mes questions, faute de quoi, aujourd’hui même, en dépit de son état, elle pourrait être transférée à l’infirmerie de la Santé.

Le Tchèque eut un haut-le-corps de gentleman offusqué, et l’infirmière qui rôdait dans la chambre murmura comme pour elle-même :

— Je voudrais bien voir ça !

Puis elle s’adressa à Maigret.

— Vous n’avez pas lu au bas de l’escalier qu’il est interdit de fumer ?

Avec une docilité inattendue, le commissaire retira sa pipe de sa bouche et la laissa éteindre entre ses doigts.

Maria avait enfin prononcé quelques mots.

— Voulez-vous traduire ?

— Elle répond que cela lui est égal et qu’elle nous hait tous. Je ne m’étais pas trompé. C’est une Slovaque, probablement une Slovaque du Sud, une fille de la campagne.

Il en était comme soulagé. Son honneur à lui, pur Tchèque de Prague, n’était plus en jeu, puisqu’il s’agissait d’une paysanne slovaque.

Maigret avait tiré son calepin noir de sa poche.

— Demandez-lui où elle se trouvait la nuit du 12 au 13 octobre dernier.

Cette fois, elle marqua le coup, son regard devint plus sombre et se posa sur le commissaire avec insistance. Aucun son ne sortit néanmoins de ses lèvres.

— Même question pour la nuit du 8 au 9 décembre.

Elle s’agita. On voyait sa poitrine se soulever. Elle avait eu malgré elle un mouvement vers le berceau, comme pour s’emparer de son enfant et le protéger.

C’était une magnifique femelle. Il n’y avait que l’infirmière à ne pas s’apercevoir qu’elle était d’une autre race qu’eux tous et à la traiter comme une femme ordinaire, comme une accouchée.

— Vous n’aurez pas bientôt fini de lui poser des questions stupides ?

— Dans ce cas, on va lui en poser une autre qui vous fera peut-être changer d’avis, madame ou mademoiselle.

— Mademoiselle, s’il vous plaît.

— Je m’en doutais. Veuillez traduire, monsieur.

Au cours de cette nuit du 8 au 9 décembre, dans une ferme de Picardie, à Saint-Gilles-les-Vaudreuves, une famille entière a été sauvagement massacrée à coups de hache. La nuit du 12 au 13 octobre, deux vieillards, deux fermiers, ont été tués de même dans leur ferme de Saint-Aubin, toujours en Picardie. Dans la nuit du 21 ou 22 novembre, deux vieillards et leur valet, un pauvre idiot, avaient déjà été attaqués, eux aussi, à coup de hache.

— Je suppose que vous allez prétendre que c’est elle ?

— Un instant, mademoiselle. Laissez traduire, voulez-vous ?

Le Tchèque traduisait d’un air dégoûté, comme si de parler de ces massacres lui avait sali les mains. Dès les premiers mots, la femme s’était à moitié dressée sur son lit et avait découvert un sein qu’elle ne songeait pas à cacher.

— Jusqu’au 8 décembre, on ne savait rien des assassins, parce qu’ils ne laissaient pas de survivants derrière eux. Vous comprenez, mademoiselle ?

— Je crois que le docteur ne vous a permis qu’une visite de quelques minutes.

— Ne craignez rien. Elle est solide. Regardez-là.

Elle était toujours belle, près de son petit, comme une louve, comme une lionne, comme elle devait être belle à la tête de ses mâles.

— Traduisez mot à mot, je vous en prie. Le 8 décembre, il y a eu un oubli. Une petite fille de neuf ans, pieds nus, en chemise, est parvenue à se glisser hors de son lit avant qu’on pensât à elle et s’est cachée dans un coin où personne n’a songé à la chercher. Elle a vu, celle-là. Elle a entendu. Elle a vu une jeune femme brune, une femme magnifique et sauvage qui approchait la flamme d’une bougie des pieds de sa mère pendant qu’un des hommes fendait le crâne du grand-père, et qu’un autre versait à boire à ses camarades. La fermière criait, suppliait, se tordait de douleur pendant que celle-ci...

Il désignait le lit de l’accouchée.

— ... pendant que celle-ci, souriante, raffinait le supplice en lui mettant le bout brûlant d’une cigarette sur les seins.

— Je vous en prie ! protesta l’infirmière.

— Traduisez.

Pendant ce temps, il observait Maria qui ne le quittait pas des yeux, repliée sur elle-même, les prunelles brillantes.

— Demandez-lui si elle a quelque chose à répondre.

Mais ils n’obtenaient qu’un sourire méprisant.

— La petite fille, qui a échappé au carnage, qui est maintenant orpheline et qu’on a recueillie dans une famille d’Amiens, a été mise ce matin en face d’une photographie de cette femme, transmise par bélinogramme. Elle l’a formellement reconnue. On ne l’avait pas prévenue. On a simplement placé la photo sous ses yeux, et l’émotion a été si violente qu’elle a été prise d’une crise nerveuse. Traduisez, monsieur le Tchèque.

— Elle est Slovaque, répéta celui-ci.

Et voilà que le bébé pleurait, que l’infirmière, après avoir consulté sa montre, le sortait de son berceau, tandis que la mère, pendant qu’on le changeait, le suivait du regard.

— Je vous ferai remarquer qu’il est l’heure, monsieur le commissaire.

— Est-ce qu’il était l’heure aussi pour les gens dont je parle ?

— Le bébé doit prendre le sein.

— Qu’il le prenne.

Et c’était bien la première fois que Maigret poursuivait un pareil interrogatoire, tandis qu’un nouveau-né soudait ses lèvres au sein blanc d’une meurtrière.

— Elle ne répond toujours pas, n’est-ce pas ? Je suppose qu’elle ne dira rien non plus quand vous lui parlerez de la veuve Rival, assassinée comme les autres, dans sa ferme, le 9 janvier. C’est la dernière en date. Sa fille, âgée de quarante ans, y a passé, elle aussi. Je suppose que Maria était présente. On a, comme toujours, relevé sur le corps des traces de brûlures. Traduisez.

Il sentait un profond malaise autour de lui, une hostilité sourde, mais il n’en avait cure. Il était harassé. S’il était resté cinq minutes seulement dans un fauteuil, il se serait endormi.

— Parlez-lui maintenant de ses compagnons, de ses mâles, de Victor Poliensky, sorte d’idiot de village à la force de gorille, de Serge Madok au cou épais et à la peau grasse, de Cari et du gamin qu’ils appellent Pietr.

Elle cueillait les noms sur les lèvres de Maigret et, à chacun d’eux, elle tressaillait.

— Est-ce que le petit était son amant, lui aussi ?

— Je dois traduire ?

— Je vous en prie. Ce n’est pas vous qui la ferez rougir.

Acculée, elle parvenait à sourire à l’évocation de l’adolescent.

— Demandez-lui si c’était vraiment son frère.

Chose curieuse, il y avait des moments où une chaude tendresse passait dans les yeux de la femme, et pas seulement quand elle rapprochait de son sein le visage de l’enfant.

— Maintenant, monsieur le Tchèque...

— On m’appelle Franz Lehel.

— Cela m’est égal. Je vous prie de traduire très exactement, mot pour mot, ce que je vais dire. Il est possible que la tête de votre compatriote en dépende. Dites-lui d’abord ça : que sa tête dépend de l’attitude qu’elle va prendre.

— Je dois vraiment ?

Et l’infirmière de murmurer :

— C’est répugnant !

Mais Maria, elle, ne broncha pas. Elle devint seulement un peu plus pâle, puis elle parvint à sourire.

— Il y a un autre individu que nous ne connaissons pas et qui était leur chef.

— Je traduis ?

— Je vous en prie.

Cette fois, ce fut un sourire ironique que l’on obtint de l’accouchée.

— Elle ne parlera pas, je le sais. Je m’y attendais en arrivant. Ce n’est pas une femme qu’on intimide. Il y a cependant un détail que je veux savoir, parce que des vies humaines sont en jeu.

— Je traduis ?

— Pourquoi vous ai-je fait venir ?

— Pour traduire. Je vous demande pardon.

Et, très raide, il semblait réciter une leçon.

— Entre le 12 octobre et le 21 novembre, il y a à peu près un mois et demi. Entre le 21 novembre et le 8 décembre, il y a un peu plus de quinze jours. Cinq semaines encore avant le 19 janvier. Vous ne comprenez pas ? C’est le temps qu’il fallait à peu près à la bande pour dépenser l’argent. Or, nous sommes à la fin février. Je ne peux rien promettre. D’autres, quand le procès viendra aux Assises, décideront de son sort. Traduisez.

Перейти на страницу:
Прокомментировать
Подтвердите что вы не робот:*