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Simenon, Georges - Un crime en Hollande

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— Vous permettez ?… J’aperçois quelqu’un qui m’attend…

Et il se dirigea à grands pas vers la porte de l’Hôtel Van Hasselt, où l’on voyait Beetje Liewens qui arpentait le trottoir en guettant son arrivée.


Elle essaya de lui sourire, comme les autres fois, mais son sourire manqua d’entrain. On la sentait nerveuse. Elle continuait à observer la rue comme si elle eût craint de voir surgir quelqu’un.

— Il y a près d’une demi-heure que je vous attends.

— Voulez-vous entrer ?

— Pas dans le café, n’est-ce pas ?…

Dans le corridor, il hésita une seconde. Il ne pouvait pas non plus la recevoir dans sa chambre. Alors il poussa la porte de la salle de bal, vaste et vide, où les voix résonnèrent comme dans un temple.

A la lumière du jour, le décor de la scène était terne, poussiéreux. Le piano était ouvert. Il y avait une grosse caisse dans un coin et des chaises entassées jusqu’au plafond.

Derrière, des guirlandes en papier qui avaient dû servir pour un bal de société.

Beetje gardait son air de santé. Elle portait un tailleur bleu et sa poitrine était plus aguichante que jamais sous un chemisier de soie blanche.

— Vous avez pu sortir de chez vous ?

Elle ne répondit pas tout de suite. Elle avait évidemment beaucoup de choses à dire, mais elle ne savait par où commencer.

— Je me suis sauvée ! déclara-t-elle enfin. Je ne pouvais plus rester. J’avais peur ! C’est la servante qui est venue me dire que mon père était furieux, qu’il serait capable de me tuer… Déjà il m’avait enfermée dans ma chambre, sans parler… Car il ne dit jamais rien quand il est en colère… L’autre nuit, nous sommes rentrés sans un mot… Il a fermé la porte à clé. Cet après-midi, la servante m’a parlé par la serrure… Il paraît qu’à midi il est revenu, tout pâle… Il a déjeuné, puis il s’est promené à grands pas autour de la ferme… Enfin il est parti sur la tombe de ma mère…

» Il y va chaque fois qu’il a une grande décision à prendre… Alors, j’ai cassé un carreau. La servante m’a passé un tournevis et j’ai dévissé la serrure…

» Je ne veux plus retourner là-bas… Vous ne connaissez pas mon père…

— Une question ! l’interrompit Maigret.

Et il regardait le petit sac en chevreau verni qu’elle tenait à la main.

— Combien d’argent avez-vous emporté ?

— Je ne sais pas… Peut-être cinq cents florins.

— Qui étaient dans votre chambre ?

Elle rougit, balbutia :

— Qui étaient dans le bureau… Je voulais d’abord aller à la gare… Mais il y a un policier en face… J’ai pensé à vous…

Ils étaient là comme dans une salle d’attente où il est impossible de créer une atmosphère intime, et ils ne songeaient même pas à prendre deux des chaises entassées pour s’asseoir.

Si Beetje était nerveuse, elle n’était pas affolée. Peut-être était-ce pour cela que Maigret la regardait avec une certaine hostilité, qui perça surtout dans sa voix lorsqu’il demanda :

— A combien d’hommes avez-vous déjà proposé de vous enlever ?

Elle perdit pied. Elle détourna la tête, balbutia :

— Qu’est-ce que vous dites ?…

— A Popinga d’abord… Etait-ce le premier ?

— Je ne comprends pas.

— Je vous demande si c’était votre premier amant…

Un assez long silence. Puis :

— Je ne croyais pas que vous seriez si méchant avec moi… Je venais…

— Etait-ce le premier ?… En somme, il y a un peu plus d’un an que cela dure… Mais avant cela ?…

— Je… j’ai flirté avec le professeur de gymnastique du lycée, à Groningen…

— Flirté ?…

— C’est lui qui… qui a…

— Bon ! Donc vous aviez déjà eu un amant avant Popinga… Pas d’autres ?…

— Jamais ! s’écria-t-elle avec indignation.

— Et vous avez été la maîtresse de Barens ?

— Ce n’est pas vrai… Je le jure !…

— Vous aviez des rendez-vous avec lui…

— … Parce qu’il était amoureux… Il osait à peine m’embrasser…

— Et, lors de votre dernier rendez-vous, celui-là qui a été interrompu par mon arrivée et par celle de votre père, vous lui avez offert de partir tous les deux…

— Comment savez-vous ?…

Il faillit éclater de rire ! C’était déroutant d’ingénuité ! Elle avait repris une partie de son sang-froid ! Elle parlait de ces choses-là avec une remarquable candeur !

— Il n’a pas voulu ?

— Il avait peur… Il me disait qu’il n’avait pas d’argent…

— Et vous lui proposiez d’en prendre chez vous… En bref, vous avez depuis longtemps la marotte de l’évasion… Votre grand objectif dans la vie est de quitter Delfzijl en compagnie d’un homme quelconque…

— Pas quelconque ! rectifia-t-elle, vexée. Vous êtes méchant ! Vous ne voulez pas comprendre !

— Mais si ! Mais si ! C’est même d’une simplicité enfantine ! Vous aimez la vie ! Vous aimez les hommes ! Vous aimez toutes les joies qu’il est possible de s’offrir…

Elle baissa les yeux, tripota son sac à main.

— Vous vous ennuyez dans la ferme modèle de votre papa ! Vous avez envie d’autre chose ! Vous commencez au lycée, à dix-sept ans, par le professeur de gymnastique… Impossible de le décider à partir… A Delfzijl, vous passez les hommes en revue et vous en découvrez un qui paraît plus audacieux que les autres… Popinga a voyagé… Il aime la vie aussi… Les préjugés le gênent aux entournures… Vous vous jetez à son cou…

— Pourquoi vous dites…

— J’exagère peut-être ! Mettons que, comme vous êtes une jolie fille, appétissante en diable, il vous fasse un brin de cour ! Mais un brin de cour timide, car il a peur des complications, peur de sa femme, d’Any, de son directeur, de ses élèves…

— Surtout d’Any !

— Nous en parlerons tout à l’heure… Il vous embrasse dans les coins… Je parierais qu’il n’avait pas même l’audace d’en désirer davantage… Seulement, vous croyez que c’est arrivé… Vous êtes tous les jours sur son chemin… Vous lui apportez des fruits chez lui… Vous vous incrustez dans le ménage… Vous vous faites reconduire en vélo et vous vous arrêtez derrière le tas de bois… Vous lui écrivez des lettres où vous lui dites votre volonté d’évasion…

— Vous avez lu ?

— Oui !

— Et vous croyez que ce n’est pas lui qui a commencé ?

Elle s’emballait.

— Au début, il me disait qu’il était très malheureux, que Mme Popinga ne le comprenait pas, qu’elle ne pensait qu’au qu’en-dira-t-on, que c’était une vie bête, et tout…

— Parbleu !

— Vous voyez bien que…

— Soixante hommes mariés sur cent disent cela à la première jeune fille séduisante qu’ils rencontrent… Seulement, le malheureux est tombé sur une jeune fille qui l’a pris au mot…

— Vous êtes méchant, méchant…

Elle était près de pleurer. Elle se contenait, tapait du pied pour souligner le mot méchant.

— Bref, il a toujours remis à plus tard ce fameux départ et vous avez bien senti qu’il ne le réaliserait jamais…

— Ce n’est pas vrai !

— Mais si ! Et la preuve, c’est que vous vous assuriez en quelque sorte contre cette éventualité en acceptant les hommages de Barens… Prudemment !… Parce que, lui, c’est un jeune homme timide, bien élevé, respectueux, qu’il ne faut pas effaroucher…

— C’est horrible !

— C’est une histoire vécue…

— Vous me détestez, n’est-ce pas ?

— Moi ? Pas du tout…

— Vous me détestez ! Et cependant je suis malheureuse… J’aimais Conrad…

— Et Cornélius ?… Et le professeur de gymnastique ?…

Cette fois, elle pleura. Elle trépigna.

— Je vous défends…

— De dire que vous ne les aimiez pas ! Pourquoi pas ? Vous les aimiez dans la mesure où ils représentaient pour vous une autre vie, le grand départ qui vous a toujours hantée…

Elle n’écoutait plus. Elle gémissait :

— Je n’aurais pas dû venir… Je croyais…

— Que j’allais vous prendre sous ma protection ?… Mais je le fais !… Seulement je ne vous considère pas pour la cause comme une victime, ni comme une héroïne… Vous êtes une petite fille gourmande, un peu sotte, un peu égoïste, et voilà tout !… Une petite fille comme il y en a beaucoup…

Elle montra un œil humide où il y avait déjà de l’espoir.

— Tout le monde me déteste ! gronda-t-elle.

— Qui, tout le monde ?…

— Mme Popinga, d’abord, parce que je suis pas comme elle ! Elle voudrait que je fasse toute la journée des vêtements pour les indigènes de l’Océanie, ou que je tricote pour les autres… Je sais qu’elle a dit à des jeunes filles de l’ouvroir de ne pas m’imiter… Et elle a même annoncé que je finirais mal si je ne trouvais pas rapidement un mari… On me l’a répété…

C’était à nouveau comme une bouffée du parfum un peu rance de la petite ville : l’ouvroir, les papotages, les jeunes filles de bonne famille réunies autour d’une dame patronnesse, les conseils et les confidences perfides.

— Mais c’est surtout Any…

— Qui vous déteste ?

— Oui !… Et même, la plupart du temps, quand j’arrivais, elle quittait le salon et montait dans sa chambre… Je jurerais qu’elle a depuis longtemps deviné la vérité… Mme Popinga, malgré tout, est une brave femme… Elle essayait seulement de me faire changer d’allures, de transformer la coupe de mes robes… Et surtout de me faire lire autre chose que des romans !… Mais elle ne soupçonnait rien… C’était elle qui disait à Conrad de me reconduire…

Un drôle de sourire flottait sur le visage de Maigret.

— Any, ce n’est pas la même chose !… Vous l’avez vue !… Elle est laide !… Elle a les dents de travers !… Jamais un homme ne lui a fait la cour ! Elle le sait bien ! Elle sait qu’elle restera vieille fille… Et c’est pour cela qu’elle a étudié, qu’elle a voulu avoir un métier… Elle fait semblant de détester les hommes !… Elle est dans des ligues féministes…

Beetje s’animait à nouveau. On sentait une vieille rancune qui éclatait enfin.

— Alors, elle était toujours à rôder dans la maison, à surveiller Conrad… Puisqu’elle est condamnée à rester vertueuse, elle voudrait que tout le monde le soit… Vous comprenez ?… Elle a deviné, j’en suis sûre… Elle a dû essayer de détourner son beau-frère de moi… Et même Cornélius !… Elle voyait bien que tous les hommes me regardaient, y compris Wienands, qui pourtant n’a jamais rien osé me dire, mais qui devient tout rouge quand je danse avec lui… Sa femme aussi me déteste, à cause de ça !… Peut-être qu’Any n’a rien dit à sa sœur… Peut-être qu’elle lui a dit… Peut-être même que c’est elle qui a trouvé mes lettres…

— Et qui a tué ? questionna brutalement Maigret.

Elle bafouilla.

— Je jure que je ne sais pas… Je n’ai pas dit ça !… Mais Any est un poison !… Est-ce que c’est ma faute si elle est laide ?…

— Vous êtes sûre qu’elle n’a jamais eu d’amoureux ?

Ah ! le sourire, le petit rire plutôt de Beetje, ce rire instinctivement triomphant de femme désirable qui écrase un laideron !

A croire qu’il ne s’agissait que de petites filles, au pensionnat, en lutte pour une vétille quelconque.

— En tout cas pas à Delfzijl…

— Elle détestait son beau-frère aussi ?

— Je ne sais pas… Ce n’est pas la même chose !… Il était de la famille… Et est-ce que toute la famille ne lui appartenait pas un petit peu ?… Alors, il fallait le surveiller, le garder…

— Mais pas le tuer ?

— Qu’est-ce que vous croyez ?… Vous dites toujours ça !…

— Je ne crois rien ! Répondez-moi ! Oosting était au courant de vos relations avec Popinga ?

— On vous a dit ça aussi ?

— Vous alliez ensemble, à bord de son bateau, jusqu’aux bancs de Workum… Il vous laissait seuls ?

— Oui ! Il conduisait, sur le pont…

— Et il vous laissait la cabine…

— C’était naturel… Il faisait frais, dehors…

— Vous ne l’avez pas revu depuis… depuis la mort de Conrad ?

— Non !… Je le jure…

— Il ne vous a jamais fait la cour ?

Elle rit, du bout des dents.

— Lui ?…

Et, pourtant, elle avait à nouveau envie de pleurer d’énervement. Mme Van Hasselt, qui avait fini par entendre du bruit, passa la tête par l’entrebâillement d’une porte, bredouilla des excuses et regagna sa caisse. Il y eut un silence.

— Vous croyez que votre père est vraiment capable de vous tuer ?

— Oui !… Il le ferait…

— Donc, il aurait été capable de tuer votre amant…

Elle écarquilla les yeux avec épouvante, protesta brusquement :

— Non !… Ce n’est pas vrai !… Ce n’est pas papa qui…

— Pourtant, quand vous êtes arrivée chez vous, le soir du crime, il n’y était pas…

— Comment savez-vous ?…

— Il est rentré un peu après vous, n’est-ce pas ?

— Tout de suite après… Mais…

— Dans vos dernières lettres, vous manifestiez de l’impatience. Vous sentiez que Conrad vous échappait, que l’aventure commençait à l’effrayer, qu’en tout cas il n’abandonnerait jamais son foyer pour partir avec vous à l’étranger…

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Rien ! Je fais une petite mise au point. Votre père ne tardera certainement pas à arriver…

Elle regarda avec angoisse autour d’elle. Elle semblait chercher une issue…

— Ne craignez rien… J’ai besoin de vous, ce soir…

— Ce soir ?

— Oui ! Nous allons reconstituer les faits et gestes de chacun la nuit du crime…

— Il me tuera !

— Qui ?…

— Mon père !

— Je serai là. Ne craignez rien.

— Mais…

La porte s’ouvrit. Jean Duclos entra, la referma vivement sur lui, tourna la clé dans la serrure, s’avança d’un air affairé.

— Attention !… Le fermier est ici… Il…

— Conduisez-la dans votre chambre…

— Dans ma…

— Dans la mienne, si vous préférez !

On entendait des pas dans le couloir. Il y avait près de la scène une porte qui communiquait avec l’escalier de service. Le couple passa par là. Maigret tourna la clé, se trouva nez à nez avec le fermier Liewens, qui regarda par-dessus l’épaule du commissaire.

— Beetje ?…

C’était à nouveau la question des langues qui jouait. Ils ne pouvaient pas se comprendre. Maigret se contenta, de son corps épais, de faire de l’obstruction, de gagner quelques instants tous en évitant de mettre son interlocuteur en colère.

Jean Duclos ne tarda pas à descendre, en prenant un air faussement dégagé.

— Dites-lui que sa fille lui sera rendue ce soir, qu’on aura besoin de lui aussi pour la reconstitution du crime…

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