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Simenon, Georges - Laffaire Saint-Fiacre

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— Je sais bien que ce sont des blagues ! dit-il néanmoins en s’éloignant.

Un crime en trois temps : quelqu’un avait composé ou fait composer l’article, à l’aide d’une linotype, qu’on ne trouve que dans un journal ou dans une imprimerie très importante.

Quelqu’un avait glissé le papier dans le missel en choisissant la page.

Et quelqu’un avait repris le missel, l’avait caché momentanément sous le surplis, dans la sacristie.

Peut-être le même homme avait-il tout fait ? Peut-être chaque geste avait-il un auteur différent ? Peut-être deux de ces gestes avaient-ils le même auteur ?

Comme il passait devant l’église, Maigret vit le curé qui en sortait et qui se dirigeait vers lui. Il l’attendit sous les peupliers, près de la marchande d’oranges et de chocolat.

— Je vais au château… dit-il en rejoignant le commissaire. C’est la première fois que je célèbre la messe sans même savoir ce que je fais… L’idée qu’un crime…

— C’est bien un crime ! laissa tomber Maigret.

Ils marchèrent en silence. Sans mot dire, le commissaire tendit le bout de papier à son compagnon qui le lut, le rendit.

Et ils parcoururent encore cent mètres sans prononcer une parole.

— Le désordre appelle le désordre… Mais c’était une pauvre créature…

Ils devaient l’un et l’autre tenir leur chapeau, à cause de la bise qui redoublait de violence.

— Je n’ai pas eu assez d’énergie… ajoutait le prêtre d’une voix sombre.

— Vous ?

— Tous les jours elle me revenait… Elle était prête à rentrer dans les voies du Seigneur… Mais tous les jours, là-bas…

Il y eut de l’âpreté dans son accent.

— Je ne voulais pas y aller ! Et pourtant c’était mon devoir…

Ils faillirent s’arrêter, parce que deux hommes marchaient le long de la grande allée du château et qu’ils allaient les rencontrer. On reconnaissait le docteur, avec sa barbiche brune, et, près de lui, le maigre et long Jean Métayer qui discourait toujours avec fièvre. L’auto jaune était dans la cour. On devinait que Métayer n’osait pas rentrer au château tant que le comte de Saint-Fiacre y était.

Une lumière équivoque sur le village. Une situation équivoque ? Des allées et venues imprécises !

— Venez ! dit Maigret.

Et le docteur dut dire la même chose au secrétaire qu’il entraîna jusqu’au moment où il put lancer :

— Bonjour, monsieur le curé ! Vous savez ! Je suis en mesure de vous rassurer… Tout mécréant que je sois, je devine votre angoisse à l’idée qu’un crime a pu être commis dans votre église… Eh bien ! non… La science est formelle… Notre comtesse est morte d’un arrêt du cœur…

Maigret s’était approché de Jean Métayer.

— Une question…

Il sentait le jeune homme nerveux, haletant d’angoisse.

— Quand êtes-vous allé pour la dernière fois au Journal de Moulins ?

— Je… attendez…

Il allait parler. Mais sa méfiance fut mise en éveil. Il lança au commissaire un regard soupçonneux.

— Pourquoi me demandez-vous ça ?

— Peu importe !

— Je suis obligé de répondre ?

— Vous êtes libre de vous taire !

Peut-être pas tout à fait une tête de dégénéré, mais une tête inquiète, tourmentée. Une nervosité fort au-dessus de la moyenne, capable d’intéresser le docteur Bouchardon, qui parlait au curé.

— Je sais que c’est à moi qu’on fera des misères !… Mais je me défendrai…

— Entendu ! Vous vous défendrez !

— Je veux d’abord voir un avocat… C’est mon droit… D’ailleurs, à quel titre êtes-vous ?…

— Un instant ! Vous avez fait du droit ?

— Deux ans !

Il essayait de reprendre contenance, de sourire.

— Il n’y a ni plainte ni flagrant délit… Donc, vous n’avez aucune qualité pour…

— Très bien ! Dix sur dix !

— Le docteur affirme…

— Et moi, je prétends que la comtesse a été tuée par le plus répugnant des saligauds. Lisez ceci !

Et Maigret lui tendit le papier imprimé. Tout raide, soudain, Jean Métayer regarda son compagnon comme s’il allait lui cracher au visage.

— Un… vous avez dit un ?… Je ne vous permets…

Et le commissaire, lui posant doucement la main sur l’épaule :

— Mais, mon pauvre garçon, je ne vous ai encore rien dit, à vous ! Où est le comte ? Lisez toujours. Vous me rendrez ce papier tout à l’heure…

Une flamme de triomphe dans les yeux de Métayer.

— Le comte discute chèques avec le régisseur !… Vous les trouverez dans la bibliothèque !…

Le prêtre et le docteur marchaient devant et Maigret entendit la voix du médecin qui disait :

— Mais non, monsieur le curé ! C’est humain ! Archi-humain ! Si seulement vous aviez fait un peu de physiologie au lieu d’éplucher les textes de saint Augustin…

Et le gravier crissait sous les pas des quatre hommes qui gravirent lentement les marches du perron rendues plus blanches et plus dures par le froid.


IV



Marie Vassilief

Maigret ne pouvait être partout. Le château était vaste. C’est pourquoi il n’eut qu’une idée approximative des événements de la matinée.

C’était l’heure où, le dimanche et les jours de fête, les paysans retardent le moment de rentrer chez eux, savourant le plaisir d’être en groupe, bien habillés, sur la place du village ou bien au café. Quelques-uns étaient déjà ivres. D’autres parlaient trop fort. Et les gosses aux habits roides regardaient leur papa avec admiration.

Au château de Saint-Fiacre, Jean Métayer, le teint jaunâtre, s’était dirigé, tout seul, vers le premier étage, où on l’entendait aller et venir dans une pièce.

— Si vous voulez venir avec moi… disait le docteur au prêtre.

Et il l’entraînait vers la chambre de la morte.

Au rez-de-chaussée, un large corridor courait tout le long du bâtiment, percé d’un rang de portes. Maigret percevait un bourdonnement de voix. On lui avait dit que le comte de Saint-Fiacre et le régisseur étaient dans la bibliothèque.

Il voulut y pénétrer, se trompa de porte, se trouva dans le salon. La porte de communication avec la bibliothèque était ouverte. Dans un miroir à cadre doré, il aperçut l’image du jeune homme, assis sur un coin de bureau, l’air accablé, et celle du régisseur, bien calé sur ses courtes pattes.

— Vous auriez dû comprendre que ce n’était pas la peine d’insister ! disait Gautier. Surtout quarante mille francs !

— Qui est-ce qui m’a répondu au téléphone ?

— M. Jean, naturellement !

— Si bien qu’il n’a même pas fait la commission à ma mère !

Maigret toussa, pénétra dans la bibliothèque.

— De quelle communication téléphonique parlez-vous ?

Et Maurice de Saint-Fiacre répondit sans embarras :

— De celle que j’ai eue avant-hier avec le château. Comme je vous l’ai déjà dit, j’avais besoin d’argent. Je voulais demander à ma mère la somme nécessaire. Mais c’est ce… ce… enfin ce M. Jean, comme on dit ici, que j’ai eu au bout du fil…

— Et il vous a répondu qu’il n’y avait rien à faire ? Vous êtes venu quand même…

Le régisseur observait les deux hommes. Maurice avait quitté le bureau sur lequel il était perché.

— Ce n’est d’ailleurs pas pour parler de cela que j’ai pris Gautier à part ! dit-il avec nervosité. Je ne vous ai pas caché la situation, commissaire. Demain, plainte sera déposée contre moi. Il est bien évident que, ma mère morte, je suis le seul héritier naturel. J’ai donc demandé à Gautier de trouver les quarante mille francs pour demain matin… Eh bien ! il paraît que c’est impossible…

— Tout à fait impossible ! répéta le régisseur.

— Soi-disant, on ne peut rien faire avant l’intervention du notaire, qui ne réunira les intéressés qu’après les obsèques. Et Gautier ajoute que, même sans cela, il serait difficile de trouver quarante mille francs à emprunter sur les biens qui restent…

Il s’était mis à marcher de long en large.

— C’est clair, n’est-ce pas ? C’est net ! Il y a des chances pour qu’on ne me laisse même pas conduire le deuil… Mais, au fait… Une question encore… Vous avez parlé de crime… Est-ce que ?…

— Il n’y a pas et il n’y aura probablement pas de plainte déposée, dit Maigret. Le Parquet ne sera donc pas saisi de l’affaire…

— Laissez-nous, Gautier !

Et, dès que le régisseur fut sorti, à regret :

— Un crime, vraiment ?

— Un crime qui ne regarde pas la police officielle !

— Expliquez-vous… Je commence à…

Mais on entendit une voix de femme dans le hall, accompagnée de la voix plus grave du régisseur. Maurice sourcilla, se dirigea vers la porte qu’il ouvrit d’un geste brusque.

— Marie ? Qu’est-ce que ?…

— Maurice ! Pourquoi ne me laisse-t-on pas entrer ?… C’est intolérable ! Il y a une heure que j’attends à l’hôtel…

Elle parlait avec un accent étranger très prononcé. C’était Marie Vassilief, qui était arrivée de Moulins dans un vieux taxi qu’on voyait dans la cour.

Elle était grande, très belle, d’une blondeur peut-être artificielle. Voyant que Maigret la détaillait, elle se mit à parler anglais avec volubilité, et Maurice lui répondit dans la même langue.

Elle lui demandait s’il avait de l’argent. Il répondait qu’il n’en était plus question, que sa mère était morte, qu’elle devait regagner Paris, où il la rejoindrait bientôt.

Alors elle ricanait :

— Avec quel argent ? Je n’ai même pas de quoi payer le taxi !

Et Maurice de Saint-Fiacre commençait à s’affoler. La voix aiguë de sa maîtresse résonnait dans le château et donnait à la scène un air de scandale.

Le régisseur était toujours dans le corridor.

— Si tu restes ici, je resterai avec toi ! déclarait Marie Vassilief.

Et Maigret ordonnait à Gautier :

— Renvoyez la voiture et payez le chauffeur.

Le désordre croissait. Non pas un désordre matériel, réparable, mais un désordre moral, qui semblait contagieux. Gautier lui-même perdait pied.

— Il faut pourtant que nous causions, commissaire… vint dire le jeune homme.

— Pas maintenant !

Et il lui montrait la femme d’une élégance agressive qui allait et venait dans la bibliothèque et dans le salon avec l’air d’en faire l’inventaire.

— De qui est ce stupide portrait, Maurice ? s’écriait-elle en riant.

Des pas dans l’escalier. Maigret vit passer Jean Métayer, qui avait revêtu un ample pardessus et qui tenait à la main un sac de voyage. Métayer devait se douter qu’on ne le laisserait pas partir, car il s’arrêta devant la porte de la bibliothèque, attendit.

— Où allez-vous ?

— À l’auberge ! Il est plus digne de ma part de…

Maurice de Saint-Fiacre, pour se débarrasser de sa maîtresse, la conduisait vers une chambre de l’aile droite du château. Tous deux continuaient à discuter en anglais.

— C’est vrai qu’on ne trouverait pas à emprunter quarante mille francs sur le château ? demanda Maigret au régisseur.

— Ce serait difficile.

— Eh bien ! faites quand même l’impossible, dès demain matin.

Le commissaire hésita à sortir. Au dernier moment il se décida à gagner le premier étage et là une surprise l’attendait. Tandis qu’en bas les gens s’agitaient comme sans but, on avait mis de l’ordre, là-haut, dans la chambre de la comtesse de Saint-Fiacre.

Le docteur, aidé de la femme de chambre, avait fait la toilette du cadavre.

Ce n’était plus l’atmosphère équivoque et sordide du matin ! Ce n’était plus le même corps. La morte, vêtue d’une chemise de nuit blanche, était étendue sur son lit à baldaquin dans une attitude paisible et digne, les mains jointes sur un crucifix.

Déjà il y avait des cierges allumés, de l’eau bénite et un brin de buis dans une coupe.

Bouchardon regarda Maigret qui entrait et il eut l’air de dire :

— Eh bien ! Qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce du beau travail ?

Le prêtre priait en remuant les lèvres sans bruit. Il resta seul avec la morte tandis que les deux autres s’en allaient.

Les groupes s’étaient raréfiés, sur la place, devant l’église. À travers les rideaux des maisons, on voyait les familles attablées pour le déjeuner.

L’espace de quelques secondes, le soleil essaya de percer la couche de nuages, mais l’instant d’après déjà le ciel redevenait glauque et les arbres frissonnaient de plus belle.

Jean Métayer était installé dans le coin proche de la fenêtre et il mangeait machinalement en regardant la route vide. Maigret avait pris place à l’autre bout de la salle de l’auberge. Entre eux deux, il y avait une famille d’un village voisin, arrivée dans une camionnette, qui avait apporté ses provisions et à qui Marie Tatin servait à boire.

La pauvre Tatin était affolée. Elle ne comprenait plus rien aux événements. D’habitude, elle ne louait que de temps en temps une chambre mansardée à un ouvrier qui venait faire des réparations au château ou dans une ferme.

Et voilà qu’outre Maigret elle avait un nouveau pensionnaire : le secrétaire de la comtesse.

Elle n’osait questionner personne. Toute la matinée elle avait entendu les choses effrayantes racontées par ses clients. Elle avait entendu entre autres parler de police !

— J’ai bien peur que le poulet soit trop cuit… dit-elle en servant Maigret.

Et le ton était le même que pour dire, par exemple :

— J’ai peur de tout ! Je ne sais pas ce qui se passe ! Sainte Vierge, protégez-moi !

Le commissaire la regardait avec attendrissement. Elle avait toujours eu ce même aspect craintif et souffreteux.

— Te souviens-tu, Marie, de…

Elle écarquillait les yeux. Elle esquissait déjà un mouvement de défense.

— … de l’histoire des grenouilles !

— Mais… qui…

— Ta mère t’avait envoyée cueillir des champignons, dans le pré qui est derrière l’étang Notre-Dame… Trois gamins jouaient de ce côté… Ils ont profité d’un moment où tu pensais à autre chose pour remplacer les champignons par des grenouilles, dans le panier… Et tout le long du chemin tu avais peur parce que des choses grouillaient…

Depuis quelques instants elle le regardait avec attention et elle finit par balbutier :

— Maigret ?

— Attention ! Il y a M. Jean qui a fini son poulet et qui attend la suite.

Et voilà Marie Tatin qui n’était plus la même, qui était plus troublée encore, mais avec des bouffées de confiance.

Quelle drôle de vie ! Des années et des années sans un petit incident, sans rien qui vînt rompre la monotonie des jours. Et puis, tout d’un coup, des événements incompréhensibles, des drames, des choses qu’on ne lit même pas dans les journaux !

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