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Simenon, Georges - Le pendu de Saint-Pholien

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L’air était tiède, les tapis moelleux. Un rayon de soleil faisait luire la crosse d’un évêque sur un tableau historique qui occupait tout un pan de mur.

Après une demi-heure de recherches et de politesses, Maigret retrouvait la mention du vol de lapins, du procès-verbal pour ivrognerie, du vol à l’étalage. Et, entre deux faits divers, les lignes suivantes :

« L’agent Lagasse, de la 6e division, se rendait ce matin à six heures au pont des Arches pour y prendre sa faction quand, en passant devant le portail de l’église Saint-Pholien, il aperçut un corps qui était suspendu au marteau de la porte.

» Un médecin mandé d’urgence ne put que constater la mort de l’individu, un nommé Emile Klein, né à Angleur, vingt ans, peintre en bâtiment, domicilié rue du Pot-au-Noir.

» Klein s’est pendu, vraisemblablement, vers le milieu de la nuit, à l’aide d’une corde de store. Dans ses poches, on n’a retrouvé que des objets sans valeur et de la menue monnaie.

» L’enquête a établi que, depuis trois mois, il avait cessé tout travail régulier et le dénuement semble lui avoir inspiré son geste.

» Sa mère, la veuve Klein, qui habite Angleur et vit d’une modeste pension, a été prévenue. »


Des heures fiévreuses suivirent. Maigret fonça lourdement dans cette voie nouvelle. Et pourtant, sans trop s’en rendre compte, il cherchait moins des renseignements sur ce Klein qu’une rencontre avec Van Damme.

Car alors seulement, quand il reverrait l’homme d’affaires devant lui, il approcherait de la vérité. Cela n’avait-il pas commencé à Brême ? Et depuis lors, à chaque point qu’il marquait, le commissaire ne se heurtait-il pas à Van Damme ?

Celui-ci l’avait vu à l’Hôtel de Ville, savait qu’il avait lu le rapport, qu’il était sur la piste Klein.

A Angleur, rien ! Le commissaire avait pris un taxi, qui s’était enfoncé dans une région industrielle où des petites maisons ouvrières, pareilles les unes aux autres, d’un même gris de suie, formaient des rues pauvres au pied des cheminées d’usine.

Une femme lavait le seuil d’une de ces maisons, celle où avait habité Mme Klein.

— Voilà au moins cinq ans qu’elle est morte…

La silhouette de Van Damme ne rôdait pas par là.

— Son fils ne vivait pas avec elle ?

— Non ! Et il a mal fini… Il s’est détruit, à la porte d’une église…

C’était tout. Maigret apprit seulement que le père Klein était porion dans un charbonnage et qu’après sa mort sa femme vivait d’une petite pension, n’occupant qu’une chambre-mansarde dans la maison qu’elle sous-louait.

— A la 6e Division de police ! commanda-t-il au chauffeur.

L’agent Lagasse, lui, vivait toujours. Mais il se souvenait à peine.

Il avait plu toute la nuit… Il était détrempé et ses cheveux roux lui collaient à la figure…

— Il était grand ?… Petit ?…

— Plutôt petit…

Alors le commissaire s’adressa à la gendarmerie, passa près d’une heure dans des bureaux qui sentaient le cuir et la sueur de cheval.

— S’il avait vingt ans à cette époque, il a dû passer au conseil de révision… Vous dites Klein, avec un K ?…

On retrouva la feuille 13, dans le dossier des réformés.

Maigret copia des chiffres : taille 1m55, tour de poitrine, 0m80… Et la mention faiblesse des poumons.

Mais Van Damme ne se montrait toujours pas. Il fallait chercher ailleurs. Le seul résultat des courses de la matinée était la certitude que jamais le complet B n’avait appartenu au pendu de Saint-Pholien, qui n’était qu’un avorton.

Klein s’était suicidé. Il n’y avait pas eu lutte, pas une goutte de sang versée.

Alors, quel rapport avec la valise du vagabond de Brême et le geste de Lecocq d’Arneville, alias Louis Jeunet ?


— Déposez-moi ici… Et dites-moi où se trouve la rue du Pot-au-Noir…

— Derrière l’église… Celle qui débouche sur le quai Sainte-Barbe…

Arrivé en face de Saint-Pholien, Maigret avait payé son taxi. Et maintenant il regardait l’église neuve qui se dressait au milieu d’un vaste terre-plein.

A droite et à gauche s’ouvraient des boulevards bordés d’immeubles qui avaient à peu près le même âge que l’église. Mais, derrière celle-ci, subsistait un vieux quartier dans lequel on avait taillé pour dégager le temple.

A la vitrine d’une papeterie, Maigret trouva des cartes postales qui représentaient l’ancienne église, plus basse, plus trapue, et toute noire. Une aile était étayée par des madriers. De trois côtés, des maisons basses, sordides, s’adossaient aux murs et donnaient à l’ensemble un aspect moyenâgeux.

De cette Cour des Miracles, il ne restait maintenant qu’un bloc irrégulier, percé de ruelles et d’impasses, où régnait une écœurante odeur de pauvreté.

La rue du Pot-au-Noir n’avait pas deux mètres de large et un ruisseau d’eau savonneuse courait en son milieu, des gosses jouaient sur des seuils derrière lesquels grouillait de la vie.

C’était sombre, malgré le soleil qui brillait au ciel mais dont la lumière ne pénétrait pas dans le boyau. Un tonnelier cerclait des barriques dans la rue même, où il avait allumé un brasero.

Les numéros des maisons étaient effacés. Le commissaire dut se renseigner. Quand il demanda le 7, on lui désigna une impasse d’où sortaient des bruits de scie et de rabot.

Tout au fond, il y avait un atelier, quelques bancs de menuisier, trois hommes qui travaillaient, toutes portes ouvertes, de la colle qui fondait sur un poêle.

L’un des hommes leva la tête, déposa un bout de cigarette éteinte, attendit que le visiteur parlât.

— C’est bien ici qu’habitait un nommé Klein ?

L’homme regarda ses compagnons d’un air entendu, montra du doigt une porte, un escalier noir, grommela :

— Là-haut !… Il y a déjà quelqu’un !…

— Un nouveau locataire ?…

Un drôle de sourire, que le commissaire ne comprit que plus tard, fut la réponse.

— Allez voir… Au premier… Vous ne vous tromperez pas : il n’y a que cette porte-là…

Un ouvrier rit silencieusement en maniant sa varlope. Maigret s’engagea dans l’escalier, où l’obscurité était totale. Après quelques marches, la rampe manquait.

Il frotta une allumette, vit au-dessus de lui une porte sans serrure ni bouton, qu’on devait fixer à l’aide d’une ficelle nouée à un clou rouillé.

La main dans la poche où était son revolver, il poussa le battant, d’un coup de genou, fut ébloui par la lumière qui ruisselait d’une verrière dont un tiers des carreaux étaient cassés.

Le spectacle était si inattendu que Maigret fut un instant à regarder autour de lui sans pouvoir distinguer les détails. Enfin, dans un coin, il aperçut une silhouette, un homme appuyé au mur, qui braquait sur lui un regard farouche : c’était Joseph Van Damme.

— Nous devions aboutir ici, n’est-ce pas ?… prononça le commissaire.

Et sa voix, qui tomba dans une atmosphère trop crue, trop vide, eut des résonances surprenantes.

Van Damme ne répondit rien, resta immobile, à le fixer hargneusement.


Pour comprendre l’architecture des lieux, il aurait fallu savoir de quelle construction, couvent, caserne ou hôtel de maître, ces murs avaient jadis fait partie.

Aucun n’était d’équerre. Et si la moitié du sol était formée par un plancher, une autre moitié était pavée de dalles inégales, comme dans une vieille chapelle.

Les murs étaient crépis à la chaux, sauf un rectangle de briques brunes qui devait boucher une ancienne fenêtre. Par la verrière, on apercevait un pignon, une gouttière, et encore des toits inégaux à l’arrière-plan, du côté de la Meuse.

Mais c’était le moins inattendu. Le plus étrange, c’était l’aménagement du local, d’une incohérence qui frisait le cabanon, ou la grosse farce.

Par terre, en désordre, des chaises neuves, inachevées, une porte couchée de tout son long, avec un panneau réparé, des pots à colle forte, des scies cassées et des caisses laissant échapper de la paille ou des copeaux.

Par contre, dans un angle, il y avait une sorte de divan, un ressort de lit plutôt, en partie recouvert d’un morceau d’indienne. Et, juste au-dessus, pendait une lanterne biscornue, aux verres de couleur, comme on en découvre parfois chez les brocanteurs.

On avait jeté sur le divan les pièces détachées d’un squelette incomplet, pareil à ceux dont se servent les étudiants en médecine. Les côtes et le bassin tenaient encore par des agrafes, se penchaient en avant, dans ce mouvement particulier aux poupées de chiffon.

Il y avait encore les murs ! Les murs blancs qui avaient été recouverts de dessins, voire de peinture à la fresque !

Et cela formait le plus saugrenu des désordres : des personnages grimaçaient ; on lisait des inscriptions dans ce genre : Vive Satan, grand-père du monde !

Par terre, une bible au dos cassé ! Ailleurs, des croquis chiffonnés, des papiers jaunis, couverts d’une épaisse couche de poussière.

Une inscription encore au-dessus de la porte : Bienvenue aux damnés !

Et, au milieu de ce capharnaüm, les chaises non achevées qui sentaient l’atelier de menuiserie, les pots de colle, les planches de sapin brut ! Un poêle était renversé, rouge de rouille !

Joseph Van Damme enfin, dans son pardessus bien coupé, le visage soigné, les souliers impeccables, Van Damme qui restait malgré tout l’homme des grandes brasseries de Brême, du bureau moderne dans un building, des dîners fins, des verres de vieil armagnac…

… Van Damme qui conduisait sa voiture en saluant les notabilités, en expliquant que le passant en pelisse était riche à millions, qu’un autre possédait trente cargos sur les mers, et qui, un peu plus tard, dans la musique légère, dans les bruits de verres et de soucoupes, allait serrer les mains de tous ces magnats dont il se sentait devenir l’égal…

… Van Damme, qui, soudain, avait l’air d’une bête traquée, qui ne bougeait pas, toujours adossé au mur dont le plâtre blanchissait son épaule, une main dans la poche de son pardessus, le regard lourdement accroché à Maigret.

— Combien ?…

Est-ce qu’il avait vraiment parlé ? Est-ce que, dans cette atmosphère invraisemblable, le commissaire n’était pas le jouet d’une illusion ?

Il tressaillit, renversa une chaise sans fond qui déchaîna un vacarme.

Van Damme était cramoisi. Et pourtant, il avait perdu son air de santé. Il y avait de la panique, ou du désespoir, en même temps que de la rage, et la volonté de vivre, de triompher coûte que coûte dans sa physionomie hypertendue, dans son regard où il concentrait ses dernières forces de résistance.

— Que voulez-vous dire ?

Et Maigret s’approcha du tas de croquis froissés qu’on avait balayés dans un coin, sous la verrière. Avant de percevoir la réponse, il eut le temps d’étaler les études de nu : une fille aux traits vulgaires, aux cheveux en désordre, qui avait un corps vigoureux, bien taillé, des seins gonflés, des hanches larges.

— Il est encore temps, prononçait cependant Van Damme. Cinquante mille ?… Cent ?…

Le commissaire le regarda curieusement et l’autre, avec une fièvre mal contenue, lança :

— Deux cent mille !…

La peur palpitait dans l’air, entre les murs irréguliers du taudis. Et elle avait quelque chose d’âcre, de malsain, de morbide.

Peut-être y avait-il autre chose que la peur : une tentation refoulée, un vertige de meurtre…

Maigret, pourtant, continuait à dépouiller les vieux papiers, à retrouver, dans d’autres attitudes, la même fille plantureuse qui, pendant la pose, devait regarder devant elle d’un air buté.

Une fois, l’artiste avait essayé de la draper dans le morceau d’indienne qui recouvrait le divan… Une autre fois, il l’avait représentée avec des bas noirs…

Derrière elle, il y avait une tête de mort, qui gisait maintenant au pied du sommier. Et Maigret se souvint d’avoir vu la tête macabre sur un portrait de Jef Lombard.

Une liaison s’ébauchait, encore confuse, entre les gens, entre les événements, à travers l’espace et le temps. Le commissaire étala, d’un geste un peu fébrile, un nouveau croquis au fusain qui représentait un jeune homme aux longs cheveux, au col de chemise échancré sur la poitrine, au menton orné d’une barbe naissante.

Lui aussi avait une pose romantique. Sa tête était posée de trois quarts et il semblait regarder l’avenir comme un aigle fixe le soleil.

C’était Jean Lecocq d’Arneville, le suicidé du sordide hôtel de Brême, le vagabond qui n’avait pas mangé ses petits pains aux saucisses.

— Deux cent mille francs !…

Et la voix ajouta, trahissant malgré tout l’homme d’affaires qui pense aux moindres détails, aux fluctuations du change :

— … francs français !… Ecoutez, commissaire…

Maigret sentait que la menace allait succéder à la prière, que l’effroi qui vibrait dans la voix ne tarderait pas à se muer en un râle de rage !

— … Il est encore temps… Il n’y a pas d’action officielle engagée… Nous sommes en Belgique…

Il restait un bout de bougie dans la lanterne, et, sous les papiers amoncelés sur le plancher, le commissaire découvrit un vieux réchaud à pétrole.

— Vous n’êtes pas en mission officielle… Et même… Je vous demande un mois…

— Si bien que cela s’est passé en décembre…

Son interlocuteur eut l’air de se coller davantage au mur, bégaya :

— Que voulez-vous dire ?…

— Nous sommes en novembre… En février, il y aura dix ans que Klein s’est pendu… Et vous ne me demandez qu’un mois…

— Je ne comprends pas…

— Si !…

Et c’était affolant de voir Maigret continuer à remuer les vieux papiers de la main gauche – et ces papiers crissaient en se froissant ! - tandis que sa main droite restait enfoncée dans la poche de son pardessus.

— Vous avez très bien compris, Van Damme ! S’il s’agissait de la mort de Klein et si, par exemple, il avait été assassiné, il n’y aurait prescription qu’en février, soit dix ans après… Et vous ne me demandez qu’un mois. Donc c’est en décembre que cela s’est passé…

— Vous ne découvrirez rien…

La voix tremblait, comme un phonographe déréglé.

— Alors, pourquoi avez-vous peur ?

Et il souleva le ressort de lit sous lequel il n’y avait que de la poussière et une croûte de pain moisi, verdâtre, à peine identifiable.

— Deux cent mille francs… On pourrait s’arranger pour que, par la suite…

— Vous voulez recevoir ma main sur la figure ?

Ce fut si brutal, si inattendu, que Van Damme, un instant, perdit contenance, eut un geste pour se protéger et, dans ce geste, sortit sans le vouloir le revolver que serrait la main enfouie dans sa poche.

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