Федор Тютчев - Том 4. Письма 1820-1849
Мюнхен. 1/13 декабря 1839
Я получил ваше письмо, любезнейшие папинька и маминька, 24 числа прошлого месяца, в самый день именин маминьки. В этот день и накануне я много думал о вас и не смел надеяться на письмо. Оно доставило мне большое удовольствие. Мне не терпится свидеться с вами. И если Бог продлит нам жизни до будущей весны, мы непременно увидимся. Дело это решенное, бесповоротно решенное. Моя жена пишет вам и вложит письмо в этот же конверт*. Уже три месяца своим колебанием, своим откладыванием я мешал ей написать вам. Не сердитесь на меня, особливо же не сочтите за лень эту невозможность писать. Я решительно не понимаю, что это такое. Однако не беспокойтесь обо мне, ибо меня охраняет преданность существа, лучшего из когда-либо созданных Богом. Это только дань справедливости. Я не буду говорить вам про ее любовь ко мне; даже вы, может статься, нашли бы ее чрезмерной. Но чем я не могу достаточно нахвалиться, это ее нежностью к детям и ее заботой о них, за что не знаю как и благодарить ее. Утрата, понесенная ими, для них почти возмещена. Тотчас по приезде в Мюнхен мы взяли их к себе*, и две недели спустя дети так привязались к ней, как будто у них никогда не было другой матери. Но я и не встречал натуры более располагающей к себе детей, нежели ее. Да, это натура весьма благородная и прекрасная, и я настоятельно поручаю ее вашей приязни. Подробности вы найдете в ее письме. Мы приехали сюда в конце сентября. Мы намеревались провести зиму в Петербурге, но ввиду того, что к этому времени положение Нести вполне определилось*, нам пришлось отказаться от этого проекта. Но, как я уже говорил вам, он только отложен до будущей весны.
По приезде сюда я написал графу Нессельроде, чтобы сложить с себя должность секретаря в Турине и просить его разрешения провести зиму за границей*. Он очень учтиво ответил мне согласием на мою просьбу. Теперь вот каковы мои намерения. В будущем мае мы поедем в Петербург, как я обязался перед министерством, и, если только мне не предложат какого-либо поста положительно выгодного, какого-либо необычайного повышения — что маловероятно — если, повторяю, не будет подобной счастливой случайности, я твердо решился оставить дипломатическое поприще и окончательно обосноваться в России. Нести желает этого не менее, чем я. Мне надоело существование человека без родины, и пора подумать о приискании приюта для надвигающихся лет. Особливо же пора свидеться с вами, чтобы более вас не покидать. Дай нам Господь еще несколько лет, дабы возместить потерянное время.
Предполагаю, что это письмо застанет вас еще в Минске у Дашиньки и ее мужа*. Передайте им тысячу дружеских приветствий от меня. Я не писал Дашиньке после ее последнего письма. Но это потому, что есть вещи, о коих невозможно говорить, — эти воспоминания кровоточат и никогда не зарубцуются.
Николушка уже, должно быть, от вас уехал. Если это так, то благоволите, прошу вас, доставить ему в Варшаву письмо моей жены*. Что до меня, я рассчитываю написать ему непосредственно. Но в Варшаве ли он еще, и каков его адрес?
Не пишу вам о нашем здешнем образе жизни; мы живем очень уединенно и тихо. Дети, Мальтиц и его жена, тетка Клотильды, ее отец и братья* — вот кто составляет наше обычное общество. Я часто видаю Северина, который очень дружески ко мне относится. Из русских здесь еще старый граф Толстой со своей дочерью, графиней Закревской*, которая всякий раз, когда я у него бываю, поручает мне передать вам поклон. — На этот раз простите. Напишу вам через несколько дней.
Тютчевым И. Н. и Е. Л., 20–22 января/1-3 февраля 1840*
Munich. Ce 1er février/20 janvier 1840
Je suis de nouveau bien coupable envers vous, chers papa et maman. Depuis six semaines il ne s’est pas coulé un jour que je ne me sois sévèrement reproché de l’avoir laissé passer sans vous écrire. Votre dernière lettre que j’ai reçue il y a quelques jours est venue enfin rompre la glace. Je vous remercie des choses bonnes et affectueuses que vous dites dans cette lettre de ma femme. Elle mérite à tout égard l’opinion favorable que vous vous en êtes formée. On ne pourrait être meilleure qu’elle n’est, plus vraie, plus aimante et dévouée. Vous l’aimerez certainement dès que vous la connaîtrez.
Je vois avec peine par votre lettre que vous êtes beaucoup plus préoccupés de ma santé qu’il n’y a lieu de l’être. Depuis six semaines que j’ai commencé la cure d’eau j’éprouve une amélioration dans ma santé que je n’osais plus espérer. Il m’est démontré maintenant, par le bon effet de cette cure que le principe de mon mal était dans les nerfs affaiblis et surexcités. Toutes mes autres infirmités n’étaient que la conséquence de celle-ci. Or il est reconnu que l’eau froide et le grand air sont les seuls moyens de fortifier les n<er>fs. Je ne puis assez me féliciter d’avoir, par une sorte d’instinct, re<non>cé depuis des années à toute drogue de pharmacie. C’est là ce qui me facilite maintenant le succès de ma cure. Mon appétit, depuis que je l’ai commencée, s’est sensiblement amélioré, tous ceux qui me voient s’accordent à me trouver meilleure mine. Voici, j’espère, chère maman, un bulletin qui doit vous satisfaire. Et ce qui achèvera de vous rassurer, c’est qu’il y a près de moi quelqu’un dont la faculté de s’inquiéter de ma santé à tout propos et hors de propos ne peut se comparer qu’à celle que je vous ai connu, autrefois, à vous-même. Car ce n’est certainement pas la faute de ma femme, si je ne me suis pas encore définitivement convaincu que j’étais de neige et que j’allai fondre et m’évaporer au premier rayon de soleil.
Nous sommes maintenant en plein carnaval. Les bals se suivent sans interruption. Nous allons beaucoup dans le monde. J’y vais plutôt par nécessité que par goût. Car la distraction quelqu’elle soit est devenue une véritable nécessité pour moi… Dernièrement Sévérine a donné un des plus beaux bals de la saison. Je vous ai dit, <je crois>, que S<évérine> s’est pris d’une grande affection pour moi que je paie de retour, plus encore par reconnaissance que par sympathie. Sa position est assez singulière dans ce pays. Il est très bien traîté par le Roi* qui l’estime et l’apprécie, mais par contre, il est très peu goûté par la société de Munich. Hier il a eu une lettre de Joukoffsky qui lui annonce une prochaine entrevue. Vous savez sans doute que le Grand-Duc Héritier est attendu le mois prochain à Darmstadt*, d’où il viendra probablement à Munich, faire une visite à la Duchesse de Leuchtenberg*. Ici, on s’attend de voir toute la Famille Impériale dans le courant de l’été prochain. Une chose certaine, c’est l’arrivée de la Gr<ande>-Duchesse Marie avec son époux qui doivent venir ici au mois de août, pour passer tout l’hiver à Munich. Mais il est fortement question aussi d’un voyage que l’Impératrice doit faire, à la même époque, en Allemagne, d’où elle se rendrait en Italie pour y passer l’hiver*. Or, si le projet se réalise, il n’y a pas de doute qu’elle passera par ici. Elle s’est trop plu la dernière fois dans le pays, pour ne pas désirer de le revoir, lors même qu’il n’y aurait pas de raisons de famille, pour l’engager à y revenir.
On sait aussi ici que le Comte de Nesselrode avait l’intention de venir l’été prochain en Allemagne, probablement aux eaux de Bohème. Je désire beaucoup que cela se fasse. Car toutes ces puissances sont plus accessibles et plus maniables en pays étranger que chez elles. Aussi dès que je le saurai à Carlsbad, j’irai le trouver*. Je ne sais pas encore au juste ce que je lui demanderai, mais je demanderai… Une place de secrétaire de légation ne pourrait me convenir. Je ne l’accepterai, en aucun cas. Reste à savoir, s’ils consentiront à me nommer conseiller d’ambassade ou, à défaut d’un poste semblable, à me donner une place un peu convenable au département…
Dernièrement j’ai eu la boucle de service pour quinze ans… C’est une assez triste indemnité pour quinze années de vie — et quelles années. Mais, puisqu’en fin j’étais destiné à y survivre, — acceptons la vie et la boucle telles qu’elles nous viennent. Si seulement on pouvait oublier…
Ce 3 février
Parlons maintenant de mes affaires. Il y a six mois que je me propose de vous en parler. Mais une invincible répugnance m’a empêché jusqu’à présent d’aborder ce sujet. Et si vous n’avez pas, cher papa, parlé le premier, peut-être aurais-je persévéré à me taire. J’ai appris avec peine la gêne du moment que les mauvaises récoltes de l’année dernière vous font éprouver et je serais désespéré de venir dans un pareil moment. Soyez bien persuadé que s’il ne s’agissait que de moi j’aurais dès à présent renoncé de bon cœur et à tout jamais à la pension que vous me faisiez autrefois. Ma femme, sans avoir une grande fortune, en a assez pour nous faire vivre tous les deux, et elle ne demanderait pas mieux que de la dépenser pour moi, jusqu’au dernier sou. Aussi depuis le mois de juillet dernier moi aussi, bien que les enfants, nous vivons entièrement à son frais, et de plus, aussitôt après notre mariage elle a payé pour moi vingt mille roubles de dettes. Encore une fois, elle a fait cela avec empressement, avec bonheur, et il n’a pas dépendu d’elle que je n’y attachasse aussi peu d’importance qu’elle y en a mis elle-même.
Mais à tort ou à raison, il m’est tout à fait impossible d’accepter un pareil arrangement comme définitif*. Je pourrais peut-être encore me résigner, pour ce qui me concerne personnellement, à vivre à ses dépens, mais vous comprenez que je ne pourrais consentir à lui imposer à tout jamais l’entretien de mes enfants. C’est déjà bien assez des soins de tout genre qu’elle voue à leur éducation, elle qui jusqu’à présent ne s’est jamais trouvée dans le cas de s’occuper de rien de pareil. Mais si outre les soins je devais encore mettre à sa charge la dépense matérielle de leur entretien et de leur éducation, ceci, je vous avoue, me gâterait tout à fait le bonheur que j’éprouve à avoir gardé ces enfants auprès de moi. Telles sont, cher papa, les raisons qui m’empêchent de renoncer à la pension de 6000 r<oubles> qui vous me ferez et qui font que tout en regrettant, plus que je ne puis le dire, l’embarras que je vous cause, j’accepte avec reconnaissance la promesse que vous me faites dans votre lettre de me la continuer. J’ai tout lieu d’espérer que dans le courant de cet été je réussirai à obtenir une place, soit à l’étranger, soit à St-Pétersbourg. Et si cette place est telle que je le désire, je serais trop heureux de pouvoir alors vous délivrer de la charge que je vous impose en ce moment.
Cette lettre vous trouvera encore à Minsk, pour plus de sûreté. C’est à Nicolas que je l’adresse, en le priant de vous le faire parvenir. Nous avons eu tout récemment de ses nouvelles de Varsovie. Il a écrit à ma femme une lettre très bonne et très aimable, pour lui dire qu’il consentait à être le parrain de l’enfant qui va venir. Mais il se trouve qu’il a un concurrent dans la personne de Mr de Sévérine qui veut à toute force être aussi le parrain du dit enfant. Pour moi, je ne demande pas mieux pourvu qu’il soit entendu que Nicolas est le parrain № 1.
Bien des remerciements à ma chère Dorothée pour son souvenir. Elle me pardonnera de ne pas lui écrire séparément, ni aussi longuement que je le voudrais.