Марина Цветаева - Если душа родилась крылатой
Deux
1Il y a des rimes dans ce monde:
On les seґpare — et il freґmit.
Home`re, tu eґtais aveugle.
La nuit — sur tes sourcils,
La nuit — ton manteau de rhapsode,
La nuit — le rideau sur tes yeux.
Sans cela aurais-tu seґpareґ
Heґle`ne et Achille?
Heґle`ne. Achille. Donne
Des noms plus harmonieux.
Oui, le monde est construit
Contre le chaos, pour l’harmonie,
Et pousseґ a` la division,
Il tient sa vengeance,
— L’infideґliteґ des femmes —
Il se venge — Troie en flammes!
Rhapsode aveugle: tu as gaspilleґ
Ton treґsor comme une chose de peu.
Il y a des rimes assembleґes —
Dans l’autre monde. Et notre
Monde s’eґcroule dans la division. Mais
Qu’importent les rimes? Heґle`ne, vieillis donc!
...Et le meilleur des hommes d’Achaїe!
Et Sparte la voluptueuse!
Il n’y a que le freґmissement des myrtes,
Et le sommeil de la cithare:
Heґle`ne, Achille:
Une paire deґpareilleґe.
Il n’est pas eґcrit, en ce monde,
Qu’un puissant s’unisse a` un puissant.
Ainsi Siegfried et Brunhild, seґpareґs,
Un mariage reґgleґ par le glaive,
Dans la haine fraternelle de cette union
— Comme des buffles! — Roc contre roc.
Il a quitteґ le lit nuptial, lui, inconnu,
Elle, non reconnue — elle dormait.
Seґpareґs! — me me sur le lit nuptial —
Seґpareґs! — me me les mains jointes —
Seґpareґs! — en notre langue double —
Tardive et deґsunie — voila` notre union!
Mais il est une offense encore
Plus ancienne: l’Amazone abattue,
Comme un lion, le fils de Theґtis
N’a pas rencontreґ la fille d’Are`s:
Achille n’a pas rencontreґ
Pentheґsileґe.
Souviens-toi, son regard vient d’en bas —
Elle regarde comme un chevalier abattu!
Son regard ne descend plus de l’Olympe —
L’argile! — Et pourtant il vient d’en haut!
Qu’importe cette jalousie qui seule
L’occupe: gra ce a` sa femme, il tire
Cela des teґne`bres. Ce n’est pas eґcrit,
Il n’est qu’un eґgal — face a` un eґgal...
Et nous ne nous rencontrons pas.
Dans un monde ou` chacun
S’abaisse et s’exteґnue,
Je sais — un seul
Egale ma vertu.
Dans un monde ou` tant
Et plus nous seґduit,
Je sais — un seul
Egale mon eґnergie.
Dans un monde ou` tout
Est lierre, moisissure,
Je sais — un seul,
Toi, — dans l’absolu,
Mon eґgal.
Tentative de jalousie
C a va comment, la vie, pour vous —
Avec une autre — Plus simple, non?
Un coup de rame, et la meґmoire aussito t,
Comme la rive, au loin s’eґcarte
De moi, le a` la deґrive, (dans le ciel
Pas dans l’eau!). Ames! Vous serez
Des surs, toutes deux, vous,
Les a mes, pas des amantes!
C a va comment, la vie, pour vous —
Avec une simple femme? Sans
Les diviniteґs? Vous avez deґtro neґ
Votre reine (vous aussi, par la` me me),
C a va comment, la vie, pour vous —
Les tracas — les tendresses? Et le reґveil —
Comment? Et que faites-vous, malheureux,
De l’immortelle vulgariteґ?
«Des affrontements, puis des sursauts —
C a suffit! Je trouverai ailleurs!»
C a va comment, la vie, pour vous — avec
N’importe qui, vous, que j’avais choisi?
Plus traditionnelle, plus mangeable —
La cuisine? On s’en lasse — a` qui la faute…
C a va comment, la vie, pour vous — avec
Un fanto me, vous, qui avez trahi le Sinaї?
C a va comment, la vie, pour vous — avec
L’une ou l’autre, ici ou la`? Votre moitieґ,
Vous aimez? Et la honte, comme les re nes de Jupiter,
Est-ce qu’elle fouette votre front?
C a va comment, la vie, pour vous —
La santeґ — c a va? Et le chant — comment?
Et la plaie de l’immortelle conscience,
Comment la matrisez-vouz, malheureux?
C a va comment, la vie, pour vous — avec
Votre sous-produit? Et le prix — lourd?
Apre`s les marbres de Carrare, c a va
Comment, la vie, pour vous — avec la camelote,
Le pla tre? (Il est sculpteґ dans la masse,
Dieu, et le voici reґduit en morceaux!).
C a va comment, la vie, avec la cent-millie`me —
Pour vous — qui avez connu Lilith!
Est ce qu’elle s’use la nouveauteґ
D’un article de pacotille? Las des philtres,
C a va comment, la vie, pour vous —
Avec la femme pratique, sans sixie`me
Sens?
Alors, te te entre les mains: heureux?
Non? Dans le fond sans profondeur,
Comment c a va, mon cheґri? Pire, ou
Comme pour moi
Aupre`s d’un autre?
Amour
Le yatagan? Les flammes? C’est trop! —
Plus modestement, un mal, familier,
Comme la paume de mains aux yeux, —
Comme le nom d’un enfant —
Aux le`vres.
Il est vivant, le deґmon
En moi, il n’est pas mort!
Dans le corps: dans une cale,
En soi-me me: en prison.
Le monde: — les murs.
Une issue: — la hache.
(Le monde — une sce ` ne, —
Balbutie le comeґdien.)
Le bouffon boiteux,
Lui, n’a pas heґsiteґ.
Dans le corps: — dans la gloire,
Dans le corps: — dans une toge.
Vis longtemps! Tu es
Vivant, — tiens a` ta vie!
(Seuls les poe`tes sont dans
Leurs os: — dans leur mensonge!)
Non, pas de promenade pour
Nous, confreґrie de chantres.
Dans le corps: — dans un peignoir
Paternel et douillet.
Nous valons mieux. Dans
Le coton, nous deґpeґrissons.
Dans le corps: — dans une stalle,
En soi-me me: — dans un four.
Nous n’accumulons pas de
Denreґes peґrissables.
Dans le corps: — dans un mareґcage,
Dans le corps: — dans un caveau.
Dans le corps: — en exil
Extre me. — Deґperdition!
Dans le corps: — dans un myste`re,
Sur les tempes: — dans l’eґtau
Du masque de fer.
Petite torche
La Tour Eiffel — a` porteґe de la main!
Va, a` ta main, grimpe.
Mais, tous, nous l’avons vue, et
Aujourd’hui la voyons, et d’autres choses,
Il nous parat ennuyeux
Et pas beau, votre Paris…
«Russie, ma Russie, pourquoi
Bru ler d’un feu si clair?»
Poeme a son fils
Notre conscience — n’est pas votre conscience.
Allez — Assez! — Oubliez tout, enfants,
Ecrivez vous-me mes le reґcit
De vos jours et de vos passions.
Loth, et sa famille de sel —
C’est notre album de famille.
Enfants, reґglez vous-me mes les comptes
Avec la ville qu’on veut faire passer pour —
Sodome. Tu n’as pas frappeґ ton fre`re —
C’est clair, pour toi, mon ange!
Votre pays, votre sie`cle, votre jour, votre heure,
Et notre peґcheґ, notre croix, notre dispute, notre
Cole`re. Serreґs dans une pe`lerine
D’orphelin de`s votre naissance —
Cessez de prendre le deuil
Pour cet Eden que vous n’avez pas
Connu! Et pour des fruits — que vous n’avez
Jamais vus. Comprenez: il est aveugle —
Celui qui vous emme`ne a` l’office des morts
Pour le peuple, et qui mange du pain,
Et qui vous en donnera — comme
C’est rapide, de Meudon au Kouban…
Notre querelle — n’est pas votre querelle.
Enfants, creґez vous-me mes vos propres
Deґsaccords.
Je te remercie, cher fide`le bureau!
Tu m’as donneґ ton arbre
Pour devenir bureau — et
Tu restes — un arbre vivant!
Avec ce jeu de jeunes feuillages
Au-dessus des sourcils, cette eґcorce vivante,
Les larmes d’une reґsine vivante, et
Des racines jusqu’au treґfonds de la terre.
Jardin
Pour cet enfer,
Pour ce deґlire,
Donne-moi un jardin,
Pour mes vieux jours.
Pour les vieilles anneґes,
Pour les vieux malheurs:
Le travail — les anneґes,
Les sueurs — les anneґes…
Pour les vieilles anneґes,
Les anneґes de chien —
Les bru lantes anneґes —
Le frais jardin…
Pour le fugitif
Donne-moi ce jardin:
Sans — ni — personne,
Sans — ni — a me!
Un jardin: ne pas marcher!
Un jardin: ne pas voir!
Un jardin: ne pas rire!
Un jardin: ne pas se moquer!
Sans aucune oreille,
Donne-moi un jardin:
Sans nulle odeur!
Sans a me aucune!
Tu diras: assez de douleur — prends ce
Jardin — solitaire, comme toi.
(Mais tu n’y resteras pas, toi, la`!).
Un jardin, solitaire, comme toi.
Pour les vieux jours, ce jardin, pour moi…
— Ce jardin autre? Et, peut-e tre, cet autre monde? —
Donne-le-moi pour mes vieux jours —
Et pour le pardon de l’a me.
Lecteurs de journaux
Le serpent souterrain glisse,
Il glisse, il transporte les gens.
Et chacun, — avec son
Journal (son eczeґma!).
Un tic a` la ma choire,
La carie des journaux.
Ma cheurs de mastic!
Lecteurs de journaux.
Le lecteur — qui? — Un vieillard, un athle`te?
Un soldat? — Ni traits, ni visages,
Ni a ge. Un squelette — sans visage:
Une feuille de journal!
Celle dont tout Paris — , du front
Jusqu’au nombril, est habilleґ.
Laisse donc, jeune fille!
Tu accoucheras d’un lecteur
De journaux!
Ils se bal — «Il couche avec sa sur» —
ancent — «Il a tueґ son pe`re!» —
Ils se balancent — et se remplissent
De vaniteґ.
Qu’importe a` ces messieurs —
L’aube ou le coucher de soleil?
Des avaleurs de vide,
Les lecteurs de journaux!
Lire — les journaux: calomnies,
Lire — les journaux: deґtournements,
Dans chaque colonne — mensonges,
Dans chaque colonne — deґgou t. —
Avec quoi, vous preґsenterez-vous —
Au Jugement dernier — dans la clarteґ —
Accapareurs d’instants,
Lecteurs de journaux!
— Au loin! Disparu! Perdu!
La peur maternelle est ancienne,
Me`re! La presse de Gutenberg est
Plus horrible que la poussie `re de Schwartz!
Pluto t e tre au cimetie`re, — que
Dans une infirmerie purulente,
Gratteurs de croutes,
Lecteurs de journaux!
Qui laisse pourrir nos fils
A la fleur de l’a ge?
Les incestueux e ґcrivains
Pour journaux!
C’est cela, amis, — que je pense —
Et bien plus fortement encore
Que dans ces vers, — lorsque,
Mon manuscrit a` la main,
Je me trouve en face, ou pluto t
— Il n’y a pas de lieu plus vide! —
Devant la non-face
Du reґdacteur
des saleteґs du journal.
Tu ouvres en grand tes yeux vers le ciel bleu —
Et tu t’exclames: — un orage!
Un audacieux passe, tu le`ves les sourcils —
Et tu t’exclames: un amour!
Au travers de la mousse grise des indiffeґrences —
Moi, je m’exclame: — des poe`mes.
Cendres
Il s’est abattu sur la ville de Saint Vinceslas
— L’incendie, ainsi, deґvore les herbes —
Apre`s avoir joueґ avec les facettes de Bohe me!
— La cendre, ainsi, couvre les ba timents,
La tempe te de neige, ainsi, balaye les jalons…
De l’Eden — Tche`ques, dites-le! —
Que reste-t-il? Des cendres.
— La Peste, ainsi, reґjouit les cimetie`res!
Il s’est abattu sur la ville de Saint Vinceslas
— L’incendie, ainsi, deґvore les herbes —
Une deґcision — c’est votre dernier deґlai:
— L’eau, ainsi, s’approche des fene tres,
La cendre, ainsi, couvre les ba timents…
Par-dessus les ponts et les places
Pleure, il pleure le lion biceґphale…
— La Peste, ainsi, reґjouit les cimetie`res!
Il s’est abattu sur la ville de Saint Vinceslas
— L’incendie, ainsi, deґvore les herbes —
L’eґtouffement, sans freґmir
— La cendre, ainsi, couvre les ba timents:
Faites signe, a mes vivantes! Prague
Aujourd’hui plus deґserte que Pompeґi:
Un pas, un bruit — nous cherchons en vain…
— La Peste, ainsi, reґjouit les cimetie`res!
A l’allemagne