Марина Цветаева - Если душа родилась крылатой
Rouen
Je suis entreґe, et j’ai dit: — Bonjour!
Il est temps, roi, de revenir en France, chez toi!
Et de nouveau, je te conduis vers le sacre,
Et de nouveau, tu vas me trahir, Charles VII!
N’espeґrez pas, prince avare et morose,
Prince exsangue et sans courage,
Que Jeanne n’aime plus — les voix,
Que Jeanne n’aime plus — son eґpeґe.
Il y a dans Rouen, a` Rouen — le vieux marcheґ...
— Et de nouveau: le dernier regard du cheval,
Le premier creґpitement du petit bois innocent,
Puis la premie`re flamme des fagots.
Et derrie`re mon eґpaule — mon compagnon aileґ
Chuchotera de nouveau pour moi: courage, Sur! —
Quand le sang du bois de mon bu cher
Fera briller les armures d’argent.
J’ai fe teґ seule la nouvelle anneґe.
Moi, riche, j’eґtais pauvre,
Moi, avec mes ailes, j’eґtais damneґe.
Quelque part, beaucoup, beaucoup de mains
Serreґes — et beaucoup de vins vieux.
Avec ses ailes, elle eґtait damneґe!
Et elle, l’unique eґtait — seule!
Comme la lune — seule, sous le regard de la fene tre.
Tu t’es leveґ pour la Patrie,
Sur ton poignard, tu as eґcrit —: Marina.
J’ai eґteґ la premie`re et l’unique
Dans ta vie extraordinaire.
Je me souviens: la nuit, un visage aureґoleґ,
Dans l’enfer d’un wagon pour soldats.
Je laisse mes cheveux au vent, et
Dans un coffret, je garde les eґpaulettes.
Le Don
Garde blanche, haute est ta destineґe:
Le trou noir vise ta poitrine et ta tempe.
Tu combats pour Dieu, ta cause est juste:
Le sable engloutira ton corps douloureux et pur.
Ce n’est pas un vol de cygnes dans le ciel:
C’est la sainte force blanche qui s’efface,
Qui s’efface comme une vision blanche...
Dernier re ve — de l’ancien monde:
Vaillance, — Jeunesse, — Vendeґe, — Don.
Celui qui en reґchappe — va mourir, celui qui en meurt —
revivra.
Et puis les descendants, au souvenir de ces temps anciens:
— Ou` eґtiez-vous? — La question, comme un coup de tonnerre,
Et la reґponse, comme un coup de tonnerre — sur le Don!
— Qu’avez-vous fait? — Nous avons souffert dans
les tourments,
Puis, fatigueґs, — nous nous sommes coucheґs pour dormir.
Et, dans le dictionnaire, les petits enfants re veurs
Apre`s le mot: devoir, eґcriront le mot: DON...
Difficile et miraculeuse — fideґliteґ jusqu’a` la mort!
La magnificence des tzars — au sie`cle des places
envahies!
Ames reґsistantes, poitrines reґsistantes, —
Ou` e tes-vous, hommes des temps anciens?!
La licence, comme un Tatar roux, deґvaste
Et reґduit en poussie`re l’autel et le tro ne.
Au-dessus des cendres — les clameurs du festin
De soldats deґserteurs et de femmes adulte`res.
Je rentre a` la maison — non comme un imposteur,
Et non comme une servante — je n’ai pas besoin de pain.
Moi — ta passion, ton repos du dimanche,
Ton septie`me jour, ton septie`me ciel.
La`-bas, sur terre, on me donnait des pie`ces,
On attachait des meules de pierre a` mon cou.
— Mon bien-aimeґ! — Pourrais-tu ne pas me reconnatre?
Moi, — ton hirondelle — ta Psycheґ!
Recois, ma douceur, des guenilles
Qui furent autrefois une chair deґlicate.
Tout est useґ, tout est deґchireґ, —
Seules restent encore les deux ailes.
Reve ts-moi de ta splendeur,
Pardonne-moi, sauve-moi, mais
Les pauvres haillons en poussie`re —
Porte-les a` la sacristie.
Je te raconterai — la grande duperie:
Je te raconterai le brouillard, quand il tombe
Sur les jeunes arbres et sur les vieilles souches.
Je te raconterai les lumie`res qui s’eґteignent
Dans les petites maisons — et le tzigane — eґtranger
Venu des lointains eґgyptiens — qui souffle dans son roseau.
Je te raconterai — le grand mensonge:
Je te raconterai le couteau, serreґ entre des doigts
Etroits, — les boucles des jeunes et la barbe des vieux,
Souleveґes par le vent des sie`cles.
Et la rumeur du sie`cle.
Et les bruits des fers, sous les sabots.
On frappe prudemment trois fois.
Tendre ennemi, ami peu su r, — Tu
Ne me tromperas pas! Tu n’es pas un pe`lerin
Au terme de sa route. — C’est ainsi
Qu’on frappe au cur — pour l’amour.
C’est ainsi que l’Enfer noir
Baisse les yeux pour frapper au Paradis.
Je suis. Tu — seras. Entre nous — un gouffre.
Je bois. Tu as soif. S’entendre — en vain.
Dix ans, cent milleґnaires nous seґparent. —
Dieu ne ba tit pas de ponts.
Sois! — C’est mon commandement.
Laisse-moi passer, je n’eґcraserai pas les jeunes pousses.
Je suis. Tu — seras. Dans dix printemps, tu diras:
— Je suis! Moi, je dirai: — C’est trop tard.
Je mourrai, et ne dirai pas: j’ai e ґ te ґ . Sans
Me plaindre, et sans chercher de coupables. Il est
Au monde des choses plus seґrieuses que les orages
Passionnels et les hauts faits de l’amour.
Toi, tu cognais de l’aile a` ma poitrine,
Jeune coupable de mon inspiration —
Moi — je te l’ordonne: — Sois!
Moi, et sans sortir de la soumission.
Ces mains, dont l’amoureux n’a pas besoin,
Servent — le Monde. Et la Lyre
Nous couronne de ce titre glorieux:
Epouse du Monde.
Beaucoup ne sont pas convieґs au festin royal, —
Il leur faut alors, pour tout souper, un chant!
L’amant n’est pas eґternel, le Monde est eґternel.
On ne le sert pas en vain.
La Blancheur menace la Noirceur.
Le temple blanc menace tombeaux et tonnerre.
Le juste pa le menace Sodome, non pas
De son glaive — mais du lys de son bouclier!
Blancheur! Cercle symbolique!
Cuves baptismales! Cheveux blancs fatidiques!
Et les vilains reconnatront leur seigneur
A la fleur qui fleurit de ses mains.
Le loup — n’a peur que de l’agneau, et
La forteresse ne se rend qu’a` un ange.
Festoiements — dans les caves et les sentines!
Il gagne la capitale, le reґgiment blanc!
Ma journeґe, le deґsordre et l’absurde:
Au pauvre, je reґclame du pain,
Au riche, je donne, pour sa pauvreteґ!
J’enfile dans l’aiguille — une lueur,
Au voleur, j’offre — la clef,
Je mets du blanc sur ma pa leur.
Le pauvre ne me donne pas de pain,
Le riche n’accepte pas mon argent,
La lueur ne passe pas dans l’aiguille.
Le voleur entre sans la clef,
Et l’idiote pleure a` chaudes larmes —
Ce jour sans gloire, ce jour inutile.
— Ou` sont les cygnes? — Et les cygnes sont partis.
— Et les corbeaux? — Et les corbeaux sont resteґs.
— Ou` sont-ils partis? — La` ou` sont les grues.
— Pourquoi sont-ils partis? — Pour ne pas perdre leurs
plumes.
— Et papa, ou` est-il? — Dors, dors, le Sommeil,
Sur son cheval des steppes va venir nous chercher. —
— Ou` nous emme`nera-t-il? — Sur le Don des cygnes,
— La`, j’ai, tu le sais! — un cygne blanc.
Les poe`mes poussent,
des eґtoiles,
des roses,
Et de la beauteґ
— inutiles pour la vie familiale.
Quant aux couronnes
et aux apotheґoses —
Une seule reґponse:
— d’ou` cela me vient-il?
Nous dormons —
et puis, au travers des dalles de pierre,
L’ho te ceґleste
avec ses quatre peґtales.
O monde, comprends!
Le chantre — dans son sommeil —
Deґcouvre les lois de l’eґtoile
et la formule de la fleur — .
Chaque poe`me — un enfant de l’amour,
Un enfant eґternel, deґmuni de tout.
Un premier-neґ — poseґ pre`s
De l’ornie`re, en plein vent.
L’enfer au cur, l’autel au cur,
— Le paradis et la honte. — Qui
Est le pe`re? Un tzar, peut-e tre?
Peut-e tre un tzar — peut-e tre un voleur.
Il nous faut courageusement l’avouer, Lyre!
Nous avions du gou t pour les grands de ce monde:
Pour les ma tures et les drapeaux, les eґglises, les tzars,
Les bardes, les heґros, les aigles et les vieillards,
Quand on jure fideґliteґ aux royaumes,
On ne confie pas le Pavillon a` tous les vents.
Tu connais le tzar — reste a` distance du piqueur!
La fideґliteґ nous tenait comme un grappin:
Fideґliteґ a` la grandeur — a` la faute — au malheur,
Fideґliteґ a` la grande faute de la couronne!
Quand on jure fideґlite au — Khan,
On ne jure pas obeґissance a` la horde.
En ce sie`cle, nous n’avons trouveґ que du vent, Lyre!
Le vent a mis en lambeaux les tuniques, et
Le dernier chiffon flotte sur le Pavillon...
De nouvelles foules, pour de nouveaux drapeaux!
Nous, nous resterons fide`les a` nos serments,
Car ce sont de mauvais chefs, les vents.
Si l’a me est neґe avec des ailes
Que lui importe les palais et les masures!
Que lui importe Gengis-Khan ou la horde!
J’ai deux ennemis, ici-bas,
Deux jumeaux — inseґparables:
La faim des affameґs — et la richesse des riches.
Je ne te ge ne pas, je ne te donne
Pas un poison de femme.
Je te donne ma main fide`le —
La droite, celle qui eґcrit.
Celle avec laquelle je beґnis,
Pour la nuit — ma fille cheґrie.
Celle avec laquelle j’eґcris
Ce que Dieu me commande.
La gauche — est impertinente,
Maligne, astucieuse; tiens,
Je te donne ma main — ma main
Droite, celle qui est juste.
Pour toi, je noie dans un verre
Une poigneґe de cheveux bru leґs.
Tu ne mangeras plus, tu ne chanteras plus,
Ne boiras plus, ne dormiras plus.
Pour que ta jeunesse — soit sans joie,
Pour que ton sucre — soit sans douceur,
Pour que la nuit c a ne marche pas, dans le noir,
Avec ta jeune eґpouse.
Comme l’or de mes cheveux est
Devenu cendre grise, les anneґes
De ta jeunesse deviendront
Blanches comme l’hiver.
Tu seras aveugle, — sourd,
Tu te desseґcheras, — comme la mousse,
Tu expireras, — comme un soupir.
Tzar, Dieu! Pardonnez aux faibles —
Aux petits, — aux naїfs, — aux peґcheurs, — aux
extravagants,
Entraneґs dans l’horrible tourmente,
Seґduits, trompeґs, —
Tzar, Dieu! Dans l’atroce supplice,
Ne tuez pas Stenka Razine!
Tzar! Dieu te le rendra! Nous avons
Eu assez de cris d’orphelins! Assez
De morts! — Fils de tzar,
Pardonne au Brigand!
Vers la maison paternelle — les chemins sont divers!
Gra ce pour Stenka Razine!
Razine! Razine! Ton histoire est termineґe!
L’animal rouge mateґ, attacheґ.
Ses dents horribles briseґes.
Mais pour sa vie, sa sombre vie
Et pour sa bravoure absurde,
Libeґrez Stenka Razine!
Patrie! Source et embouchure!
Et quelle joie! De nouveau c a sent la Russie!
Etincelez, yeux ternis!
Reґjouis-toi, cur russe!
Tzar, Dieu! C’est la fe te:
Libeґrez Stenka Razine!
Je n’ai plus besoin de toi,
Mon cher, — non parce que
Tu n’as pas eґcrit aussito t,
Non parce que tu vas
Deґchiffrer en riant
Ces lignes eґcrites avec tristesse,
(Ecrites par moi, seule —
A toi, seul! — Pour la premie`re fois! —
Tu les devineras, sans e tre seul.)
Non parce que des boucles
Fro leront ta joue — je sais,
Moi aussi, lire a` deux! —
Non parce qu’ensemble —
Sur des majuscules incertaines —
Vous allez vous pencher et soupirer.
Non parce que, bien ensemble,
Soudain, vos paupie`res se fermeront —
Mon eґcriture est difficile, —
Et, en plus des vers!
Non, cher ami, — c’est plus simple,
C’est plus fort qu’un deґpit:
Je n’ai plus besoin de toi —
Parce que, parce que
Je n’ai plus besoin de toi!
Non, personne ne le saura —
Ne pourra et ne voudra le savoir! —
Combien, dans l’insomnie, ma conscience passionneґe
Use ma jeune vie!
Elle m’eґtouffe sous l’oreiller, elle sonne le tocsin,
Elle murmure toujours le me me mot…
— Elle transforme en cet enfer trois fois damneґ
Un petit, un idiot peґcheґ veґniel.
Une eґtoile au-dessus du berceau — et une eґtoile
Au-dessus du cercueil! Et, au milieu —
Comme un tas de neige bleue — une longue vie. —
Bien que je sois ta me`re,
Je n’ai plus rien a` te dire,
Mon eґtoile.
Je confie ce livre au vent
Et aux cygnes qui passent.
Pour crier plus fort que la seґparation —
Il y a peu, j’ai briseґ ma voix.
Ce livre, comme une bouteille a` la mer,
Je le jette dans le tourbillon des guerres;
Afin qu’il voyage, simplement, de la main
A la main, comme un cierge dans une fe te.
Vent, vent, mon fide`le teґmoin,
Va dire a` ceux que j’aime
Que chaque nuit, dans mes re ves,
Je fais le chemin — du Nord au Sud.
Il s’approchera sans bruit, furtivement —
Comme minuit dans une fore t impeґneґtrable.
Je sais: dans un vaste tablier,
Je vous apporterai une colombe.
Ainsi: je serai sur le seuil, — immobile!
Avec le poids du plomb — la honte. Mais,
L’oiseau dans le tablier sera a` l’eґtroit,
Et l’oiseau — s’envolera, de lui-me me!
Tu observes ma peґrissable fragiliteґ
Presque en silence. — Toi,
Tu es de pierre, — moi, je chante, —
Toi, tu es un monument, moi, je vole.
Je sais, au regard de l’eґterniteґ,
Le plus tendre mai n’est rien.
Je suis un oiseau, ne m’en veux pas, si
Je n’applique pas pour moi une loi si leґge`re.
Ne juge pas trop vite: le jugement
Terrestre est fragile! Et que la couleur
Des meґsanges ne soit pas obscurcie —
Par la blancheur des colombes.
D’ailleurs — fais ce qu’il te plat!
Car, si j’ai aimeґ tout le monde,
Il se peut qu’un jour sombre —
Je revienne a` moi, plus blanche que toi.
L’un est de pierre, l’autre d’argile, —
Toute d’argent, moi — je brille!
Mon affaire — trahir, mon nom — Marina,
Moi, — peґrissable eґcume de la mer.
L’un est d’argile, l’autre de chair —
Pour eux, tombes et pierres tombales…
Pour moi — la mer — et ses fonts baptismaux —
Et je suis, dans mon vol, — sans cesse briseґe!
Ma volonteґ passe au travers de tous
Les curs, au travers de tous les filets.
De moi — vois-tu ces me`ches folles? —
Personne ne tirera du sel de terre.
Je me brise contre vos genoux de granit,
Mais, avec chaque vague, — je ressuscite.
Salut a` l’oceґan — a` l’eґcume joyeuse —
La haute eґcume de la mer!
Un co teґ de la fene tre s’est ouvert.
Un co teґ de l’a me est apparu.
Ouvrons donc — aussi l’autre co teґ,
Et cet autre co teґ de la fene tre.
Chanson