Гийом Аполлинер - Мост Мирабо
Orphée
La femelle de l'alcyon,
L'Amour, les volantes Sirènes,
Savent de mortelles chansons
Dangereuses et inhumaines.{19}
N'oyez pas ces oiseaux maudits,
Mais les Anges du paradis.
Орфей
Зимородок, Купидон
И Сирены — как споют нам,
Отзовется сладкий звон
Стоном смертным, страхом смутным.{20}
Нет, не слушай пенье их —
Слушай ангелов благих.
Les sirènes
Sachée-je d'où provient, Sirènes, votre ennui
Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit?
Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées
Et mes vaisseaux chantants se nomment les années.
Сирены
Откуда эта грусть, Сирены, и печаль,
Когда ваш нежный плач плывет в ночную даль?
Я полон отзвуков, я схож с морскою тьмою.
О эхо, мой корабль, зовущийся Судьбою!
La colombe
Colombe, l'amour et l'esprit
Qui engendrâtes Jésus-Christ,
Comme vous j'aime une Marie.
Qu'avec elle je me marie.
Голубь
О голубь, нежность, дух святой,
Был сам Христос рожден тобой.
И я люблю Марию[34] — с ней
Дай обручиться мне скорей.
Le paon
En faisant la roue, cet oiseau,
Dont le pennage traîne à terre,
Apparaît encore plus beau,
Mais se découvre le derrière.
Павлин
Хвост распуская, эта птица
Всем демонстрирует наряд:
Своей красой она кичится,
При этом обнажая зад.
Le hibou
Mon pauvre cœur est un hibou
Qu'on cloue, qu'on décloue, qu'on recloue.
De sang, d'ardeur, il est à bout.
Tous ceux qui m'aiment, je les loue.
Филин
Как филин, сердце ухает в груди —
Все ух да ух… Так в крест вбивают гвозди.
Все пыл, все кровь — хоть душу изгвозди.
Любимые, лишь вы меня не бросьте!
Ibis
Qui, j'irai dans l'ombre terreuse
О mort certaine, ainsi soit-il!
Latin mortel, parole affreuse,
Ibis, oiseau des bords du Nil.
Ибис
И я сойду, в тумане зыблясь,
В подземный мир — да будет так!
И на латыни мертвой ибис
Укажет мне мой путь во мрак.
Le bœuf
Ce chérubin{21} dit la louange
Du paradis, où, près des anges,
Nous revivrons, mes chers amis,
Quand le bon Dieu l'aura permis.{22}
Бык
Вот херувим, рожденный бездной:{23}
Друзья, он славит рай небесный,
Где мы сойдемся наконец,
Когда позволит нам Творец.{24}
Alcools
Алкоголи
(1913)
LE PONT MIRABEAU
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Мост Мирабо
Под мостом Мирабо исчезает Сена
А с нею любовь
Что же грусть неизменна
Уступавшая радостям так смиренно
Тьма спускается полночь бьет
Дни уходят а жизнь идет
Словно мост мы сомкнули руки с тобою
Покуда волна
За волной чередою
Взгляд за взглядом влечет под него с тоскою
Тьма спускается полночь бьет
Дни уходят а жизнь идет
Вот и наша любовь подобна стремнине
И медлят года
Как река на равнине
Но надежда неистова и поныне
Тьма спускается полночь бьет
Дни уходят а жизнь идет
Дни уходят недели тают как пена
И словно любовь
И как жизнь постепенно
Под мостом Мирабо исчезает Сена
Тьма спускается полночь бьет
Дни уходят а жизнь идет
ANNIE
Sur la côte du Texas
Entre Mobile et Galveston il у a
Un grand jardin tout plein de roses
Il contient aussi une villa
Qui est une grande rose
Une femme se promène souvent
Dans le jardin toute seule
Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls
Nous nous regardons
Comme cette femme est mennonite
Ses rosiers et ses vêtements n'ont pas de boutons
Il en manque deux à mon veston
La dame et moi suivons presque le même rite
АННИ[35]
На побережье Техаса
По дороге из Мобила на Галвестон[36]
В огромном саду где сплошные розы
Дом укромный стоит за кустами он
И сам наподобье огромной розы
Одна недотрога уж я-то знаю
Одиноко гуляет в этом саду
И когда я дорогой под липами мимо иду
Мы глазами встречаемся с нею
Она меннонитка[37] и соблюдает запрет
На пуговицы и я возражать не смею
Я сам две своих с пиджака потерял и вернее
Способа стать одноверцем с ней кажется нет
LA MAISON DES MORTS
A Maurice Raynal
S'étendant sur les côtés du cimetière
La maison des morts l'encadrait comme un cloître
А l'intérieur de ses vitrines
Pareilles à celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimaçaient pour l'éternité
Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
J'étais entré pour la première fois et par hasard
Dans ce cimetière presque désert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposée et vêtue le mieux possible
En attendant la sépulture
Soudain
Rapide comme ma mémoire
Les yeux se rallumèrent
De cellule vitrée en cellule vitrée
Le ciel se peupla d'une apocalypse
Vivace
Et la terre plate à l'infini
Comme avan'c Galilée
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m'accostèrent
Avec des mines de l'autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientôt moins funèbres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique
Les morts se réjouissaient
De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière
Ils riaient de leur ombre et l'observaient
Comme si véritablement
C'eût été leur vie passée
Alors je les dénombrai
Ils étaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient à vue d'œil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialité
Tant de tendresse même
Que les prenant en amitié
Tout à coup
Je les invitai à une promenade
Loin des arcades de leur maison
Et tous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos péchés sont absous
Nous quittâmes le cimetière
Nous traversâmes la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
A la petite troupe des morts récents
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants
Puis dans la campagne
On s'éparpilla
Deux chevau-légers nous joignirent
On leur fit fête
Ils coupèrent du bois de viorne
Et de sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu'ils distribuèrent aux enfants
Plus tard dans un bal champêtre
Les couples mains sur les épaules
Dansèrent au son aigre des cithares
Ils n'avaient pas oublié la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps à autre une cloche
Annonçait qu'un nouveau tonneau
Allait être mis en perce
Une morte assise sur un banc
Près d'un buisson d'épine-vinette
Laissait un étudiant
Agenouillé à ses pieds
Lui parler de fiançailles
Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s'il le faut
Votre volonté sera la mienne
Je vous attendrai
Toute votre vie
Répondait la morte
Des enfants
De ce monde ou bien de l'autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poétiques
De l'humanité
L'étudiant passa une bague
A l'annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l'absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous aurons une belle noce
Des touffes de myrte
A nos vêtements et dans vos cheveux
Un beau sermon à l'église
De longs discours après le banquet
Et de la musique
De la musique
Nos enfants
Dit la fiancée
Seront plus beaux plus beaux encore
Hélas! la bague était brisée
Que s'ils étaient d'argent ou d'or
D'émeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumière de l'aurore
Que vos regards mon fiancé
Auront meilleure odeur encore
Hélas! la bague était brisée
Que le lilas qui vient d'éclore
Que le thym la rose ou qu'un brin
De lavande ou de romarin
Les musiciens s'en étant allés
Nous continuâmes la promenade
Au bord d'un lac
On s'amusa à faire des ricochets
Avec des cailloux plats
Sur l'eau qui dansait à peine
Des barques étaient amarrées
Dans un havre
On les détacha
Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants
A l'avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d'une robe jaune
D'un corsage noir
Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris
Orné d'une seule petite plume défrisée
Je vous aime
Disait-il
Comme le pigeon aime la colombe
Comme l'insecte nocturne
Aime la lumière
Trop tard
Répondait la vivante
Repoussez repoussez cet amour défendu
Je suis mariée
Voyez l'anneau qui brille
Mes mains tremblent
Je pleure et je voudrais mourir
Les barques étaient arrivées
A un endroit оù les chevau-légers
Savaient qu'un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l'interroger
Il у eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleines d'à-propos
Que c'était à mourir de rire
Et le mort disait à la vivante
Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l'еаu se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra
On reprit terre et ce fut le retour
Les amoureux s'entr'aimaient
Et par couples aux belles bouches
Marchaient à distances inégales
Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes
Un genévrier parfois
Faisait l'effet d'un fantôme
Les enfants déchiraient l'air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne
Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
A demain
A bientôt
Beaucoup entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour у acheter leur repas du soir
Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s'en allaient tout droit
Au cimetière
Où
Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés
Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines
Ils ne se doutaient pas
De ce qui s 'était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir
С'était un bonheur inespéré
Et si certain
Qu'ils ne craignaient point de le perdre
Ils vivaient si noblement
Que ceux qui la veille encore
Les regardaient comme leurs égaux
Ou même quelque chose de moins
Admiraient maintenant
Leur puissance leur richesse et leur génie
Car у a-t-il rien qui vous élève
Comme d'avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu'on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
A se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l'on n'a plus besoin de personne
Дом мертвых[38]