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Вадим Вацуро - С.Д.П. Из истории литературного быта пушкинской поры

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Il me semble pourtant que vous paraissez quelquefois vous d éfier de la véridité de mon amour. Hélas! est-ce ma faute si cette figure sans expression, si ces yeux sans feu ne vous disent que faiblement ce que j’éprouve? Tout le feu, qui manque à mes yeux et qui n’anime point mes traits, est concentré dans mon cœur: c’est là que vous avez votre autel, où vous êtes sans cesse adorée, encensée. Non! une flamme si forte ne pourra pas mourir même avec mon être, elle me survivra, elle suivra au delà du tombeau et sera pour mon âme le plus bel apanage d’immortalité. Je vous y reverrai. Madame! vous serez l’ange de bonté qui me fera participer à la félicité éternelle: sans vous je n’y trouverais qu’un état de langueur infinissable.

Et vous n ’êtes plus fâchée, Madame? est-ce bien sincèrement que vous m’avez pardonné? et vous ne rebuterez plus un cœur qui ne palpite que pour vous? Oh! si je n’avais pas de témoins, j’aurais embrassé dernièrement cent mille fois votre Hector, qui m’a attiré de votre part ces paroles douces qui sont à jamais gravées dans ma mémoire; c’est lui qui a contribué à vous persuader de même en partie de tout l’amour dont je brûle pour vous. Jugez donc, Madame, si je dois le chérir, si je peux regarder d’un œil indifférent un être qui est en quelque sorte mon bienfaiteur? Et quel précieux fardeau que je trouvais en lui? je portais dans mes bras une créature que vous affectionnez, Madame! et tout ce qui vous est cher, l’est encore davantage pour moi, car toutes vos affections se communiquent à mon âme, s’y augmentent et s’y multiplient! Quel sympathie pour moi que celle de sympathiser avec votre cœur. Si j’avais pu as-pirer à un retour… mais je n’ose pas y prétendre: ce serait un bonheur qui ne m’est point destiné en partage. Je me contente donc de mes propres sentiments, je me contente aussi de la seule prérogative qui me soit accordée, celle de vous l’oser dire.

Que tous vos mots d ’amitié ou de bonté répandent une douce chaleur dans toute mon existence. Какая милая попинька! qui aurait pu faire comme lui? ces aimables paroles resonnent sans cesse dans mon oreille et coulent de veine en veine comme des flots de f élicité indicible. Ah! répétez-moi souvent des expressions pareils, il coûte si peu d’en dire et heureux celui qui peut procurer aux autres, à si peu de prix, un bonheur impayable! On se ressent du bonheur qu’on fait participer aux autres: on est heureux soi-même.

Je vais de nouveau, Madame, mettre à vos pieds l’hommage de mon cœur, qui est, ainsi que toute mon existence

Tout à vous, pour l’éternité. Mercredi. Ce 8 Juin, à midi.

Ma matin ée d’hier s’est passée assez tranquillement. J’ai écrit ma pre-mière lettre à Madame après la reprise où je lui peins ma flamme. Elle est trop longue, cette lettre, et j’ai peur qu’elle ne l’ennuye: ennuyer une jolie personne ce serait pécher contre la nature. J’ai dû diner chez le Prince, mais je me pro-jettais d’aller chez elle tout de suite après diner. Voilà que la Princesse me prie de lui trouver dans la bibliothèque les livres qu’elle même n’a pas pu trouver. Je cache le mécontentement, qu’a produit sur moi une commission aussi intempestible, je cherche les livres et les trouve presque aussitôt. La princesse a été très aimable avec moi, je lui ai apporté dans son cabinet les livres qu’elle m’a demandés et elle m’a parlé des plaisirs que nous allions goûter à la campagne; pour trancher court, je lui ai repondu que j’aimerais au-tant rester en ville, vu que l’été ne permettais point d’être beau. Sur les cinq heures je suis parti pour aller à la campagne de Md P-ff.

J’y ai trouvé Lopès qui partit presque aussitôt, et le colonel Slatwinsky. Madame a été indisposée, elle a gagné une attaque de rheumatisme sur la ba-lançoire. Elle s’est un peu trouvée mal et s’est couchée, et moi je suis allé faire un tour de promenade. J’ai rencontré les deux Kotschubey qui s’en retournaient en ville de chez la Princesse Lobanoff; je les ai salu é en passant. Près de la campagne de Mr Dournoff, j’ai rencontré ses deux fils et Mr Dougoulz, j’ai causé avec eux et l’aide de camp m’a comblé d’honnêtetés; tous les deux à l’envi ils m’invitaient de passer chez eux, mais je me suis excusé! En rentrant j’y ai trouvé Izmaïloff; Madame était encore couchée; un moment après Andréef étant venu, elle l’a fait inviter à passer dans sa chambre, puis elle a voulu se lever et elle a crié de douleur. Je suis accouru pour l’aider si je le pouvais; et à l’aide de Mr Slatwinsky nous l’avons relevée. Elle a été très aimable avec tout le monde. Les autres étant partis, nous ne sommes restés au souper que moi et Izmaïloff. Elle a été d’une gaieté charmante. Après souper je suis entré dans sa chambre à coucher et je l’ai vu caresser le chien de Lopès. Que je l’enviais, ce chien. Je le lui avais dit plusieurs fois, enfin je me suis rapproché d’elle, je lui ai baisé la main avec ardeur et à plusieurs reprises: et en sortant je lui ai imprimé un baiser sur les lèvres; elle m’a aussi embrassé. Elle a voulu me retenir pour coucher à la campagne, mais je m’excusais sur l’impossibilité, vu que le prince avait à faire avec moi. Malgré tout cela elle m’a fait préparer le lit dans le salon, et elle-même arrangeait les oreillers de ce lit. Je n’ai pas pu y tenir, j’y aurais resté toute l’éternité, je me soumis en lui baisant la main… Hélas! faut-il me borner à cela? Je n’ai dormi que deux heu-res, après quatre heures du matin son chien qu’on a blamé dans la journée, est venu près de mon lit; il m’a reveillé, il était souffrant, et je ne peux pas voir souffrir un être quelconque, je ne dis pas déjà son chien. Je me suis levé, je l’ai pris dans mes bras et l’ai fait coucher sur mon lit que je lui ai cédé: pour ne point le toucher et lui faire mal, je me suis habillé et je partis pour retour-ner à la maison. La journée d’hier est une de celles dont je conserverai le plus doux souvenir. Quel prix ont à mes yeux ses moindres caresses, ses mots de bonté, ses plus petits soins de ma personne! Oh! si j’étais aimé en effet, com-me j’aurais su sentir toute l’étendu e de mon bonheur.

Jeudi, ce 9 Juin, 1821.

Dans la matin ée d’hier j’ai reçu un billet d’invitation pour la soirée de la part de Mr Ostolopoff. Le billet étant écrit en italien, j’ai dû répondre, comme j’ai su, en cette langue. J’ai passé ensuite chez Boulgarine pour 1’inviter aussi au nom de Mr Ostolopoff; après cela je me suis rendu chez Nikitine. Je lui ai insinuée l’idée de la réunion des deux sociétés et j’ai pu voir que ce n’était nullement de son goût.

Bulgarine ne m ’a pas laissé entrer dans sa chambre à coucher: j’ai vu qu’on y a apporté à son ordre un portrait et j’ai cru remarquer la figure d’un peintre de portraits en miniature. Le domestique polonais a laissé tomber par maladresse la toile qui couvrait le portrait et j’ai reconnu les traits de Mme Woïeïkoff. Hé, Mr. Bulgarine! je vous félicite: mais je ne lui ai pas dit ce que j’ai vu.

Ce 10 Juin 1821.

Que je rends gr âces au mauvais temps qui me retient en ville. Madame! j’ai encore de vouloir <нрзб.> la douce perspective de vous voir deux ou trois fois avant mon d épart pour la campagne. Il me vient de temps en temps des idées qui n’ont pas le sens commun: je désire quelquefois qu’il fasse contin-uellement la mauvaise saison afin que vous déménagez plus promptement pour venir demeurer en ville et que j’aie le bonheur de vous voir tous les jours. Grondez-moi si vous voulez, Madame, mais sur ce point-là je suis égoïste, et très ègoïste, et ce n’est pas tout-à-fait sans raison. Il me semble que quand je suis près de vous, mon existence est alors plus complète, plus entière, tandis que loin de vous je me crus privé d’une grande partie de moi-même, et c’est la vérité: mon coeur, mon âme, mes pensées, mon imagination sont constamment attachés à vos pas et semblent voltiger autour de votre image adorée. Tout ce qui constitue la meilleure partie de moi-même est donc absorbé dans vos perfections et que me reste-t-il? de la glace au lieu du cœur, un vide continuel dans l’esprit et dans l’âme et une enveloppe grossière qui tient à mon origine terrestre.

Ah! Madame! ne me privez point de la seule consolation que j ’ai en vue en m’éloignant de votre personne! écrivez-moi aussi souvent que vous le pour-rez, écrivez-moi de longues lettres afin que je puisse boire à longs traits le plaisir de voir quelque chose qui émane de vous! Je sais que ma prière est trop hardie, mais c’est à un ange que je l’adresse et un ange ne se refuse jamais de consoler les pauvres humains. Que mon coeur battra avec force lorsque j’aurai à attendre de vos nouvelles! Oh! je les porterai sur mon cœur, vos lettres, elles y feront revivre cette douce chaleur qui s’amortira par votre absence ou qui ira plutôt se réfléchir dans vos yeux.

Chaque fois que j’ai le bonheur de vous voir, Madame, je reviens enc ore plus amoureux. La dernière fois surtout… oh! cette soirée se gravera dans ma mémoire parmi les instants les plus heureux de ma vie. Je vous ai vu arranger de vos propres mains les oreillers du lit qui a été destiné pour me recevoir; oh! avec quels transports j’imprimais des baisers sur ces mains incomparables! L’oserai-je dire… non! mon cœur est encore trop plein de ce bonheur et les plus belles expressions seraient froides et insuffisantes.

Puissiez-vous sentir, Madame, la moindre parcelle de ce que je sens pour vous! je serais encore le plus heureux des hommes comme j’en suis le plus amoureux.

Tout à vous pour l’éternité O. Somoff. Vendredi, ce 10 Juin, 1821.

Hier j ’ai attendu le colonel Noroff pour aller ensemble à midi lui faire faire connaissance avec Monsieur et Md Ponomareff, mais il n’est venu que vers deux heures, de sorte que toute ma matinée a été manquée. Nous avons parlé de Md Ponomareff, je lui ai inspiré le désir de la connaître, et comme il ne trouve pas convenable de venir diner à la premiére visite, il m’a promis d’y venir demain vers 6 heures. Ensuite nous avons parlé de la littérature russe et étrangère. Je lui ai prêté 4 volumes de Parny pour lire. Il ne faut pas oublier de lui communiquer la note du meilleur commentaire de Dante. Le v oici: La Divina Comm édia di Dante Alighieri, col comento di G. Bignioti; 2 toms. Pari-gi, 1818, in 8. Presto Dondey Dupré in via S. Luigi, 10 c. 44. Il m’a promis de m’en faire venir un exemplaire de Paris. Vers trois heures le colonel est parti.

Apr ès 7 heures j’ai été à l а Société des Amis de Lettres, des Sciences et des Arts, au Palais St. Michel. Bulgarine nous a lu ses souvenirs de la guerre d’Espagne, qui sont très intéressants. Il peint avec beaucoup de feu le beau sèxe de ce pays, le climat, la nature. Après lui Ostolopoff a lu le traité de la tragédie, qu’il veut intercaler dans le Dictionnaire de la Poésie ancienne et moderne. Bonne compilation, mais un peu trop détaillé pour un article d’un grand ouvrage. A dix heures j’ai proposé à Izmaïloff d’aller faire ensemble une visite à Panaïeff que nous avons trouvé plus souffrant que jamais. J’y suis resté jusqu’à minuit et je suis rentré chez moi vers minuit et demi.

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