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Simenon, Georges - Au Rendez-vous des Terre-Neuvas

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— Oui…

— Et beaucoup plus distinguée qu’Adèle… En outre, elle vous aime… Elle est prête à tous les sacrifices pour…

— Mais taisez-vous donc ! gronda le télégraphiste. Vous savez bien que… que…

— …Que c’est autre chose !… Que Marie Léonnec est une jeune fille sage, qu’elle sera une épouse modèle, qu’elle soignera bien ses enfants mais que… qu’il manquera toujours quelque chose, pas vrai ?… Quelque chose de plus violent… Quelque chose que vous avez connu à bord, caché dans la cabine du capitaine, la peur vous serrant un peu la gorge, dans les bras d’Adèle… Quelque chose de vulgaire, de brutal… L’aventure… Et l’envie de mordre, de faire un geste définitif, de tuer ou de mourir…

Le Clinche le regarda avec étonnement.

— Comment sa…

— Comment je sais ?… Parce que cette aventure-là, chacun l’a vue passer au moins une fois dans sa vie… On pleure ! On crie ! On râle !… Puis, quinze jours après, en regardant Marie Léonnec, on se demande comment on a pu se laisser émouvoir par une Adèle…

Tout en marchant, le jeune homme fixait l’eau miroitante du bassin. On y voyait s’étirer le reflet du liseron blanc, rouge ou vert des bateaux.

— La campagne est finie… Adèle est partie… Marie Léonnec est ici…

Il y avait eu un moment de calme. Maigret continua :

— La crise a été dramatique, un homme est mort, parce que la passion était à bord et…

Déjà Le Clinche était empoigné à nouveau par sa fièvre :

— Taisez-vous ! Taisez-vous ! répéta-t-il d’une voix sèche. Non !… Vous voyez bien que ce n’est pas possible…

Il avait les yeux hagards. Il se retourna pour voir le chalutier qui, presque vide maintenant, était monstrueusement haut sur l’eau.

Ses terreurs le reprenaient.

— Je vous jure… Il faut me laisser…

— Le capitaine aussi, à bord, pendant toute la campagne, était angoissé, n’est-ce pas ?…

— Que voulez-vous dire ?

— Et le chef mécanicien ?…

— Non.

— Il n’y avait que vous deux !… C’était bien de la peur, Le Clinche ?…

— Je ne sais pas… Laissez-moi, de grâce !…

— Adèle était dans la cabine… Trois hommes rôdaient… Et pourtant le capitaine ne voulait pas céder à son désir, restait des jours et des jours sans parler à sa maîtresse… Et vous, vous la regardiez à travers les hublots, mais, après une seule rencontre, vous ne l’avez plus touchée…

— Taisez-vous…

— Les hommes, dans les soutes, dans le poste, parlaient du mauvais œil et la campagne allait de mal en pis, de fausse manœuvre en accident… Un mousse à l’eau, deux hommes blessés, la morue avariée et l’entrée ratée dans le port…

Ils tournaient l’angle du quai et la plage s’étalait devant eux, avec sa digue bien propre, ses hôtels, les cabines et les fauteuils multicolores sur les galets.

Dans une tache de soleil, on reconnaissait Mme Maigret, assise dans un fauteuils transatlantique, près de Marie Léonnec qui portait un chapeau blanc.

Le Clinche suivit le regard de son compagnon, s’arrêta net, les tempes moites.

Et le commissaire continuait :

— Il n’a pas suffi d’une femme… Venez !… Votre fiancée vous a vu…

C’était vrai. Elle se levait. Elle restait un instant immobile, comme si l’émotion était trop forte. Et maintenant elle se précipitait le long de la digue, tandis que Mme Maigret déposait son ouvrage de couture et attendait.


7


En famille

Ce fut de ces situations qui se créent d’elles-mêmes et dont il est difficile de se dégager. Marie Léonnec, seule à Fécamp, recommandée aux Maigret par un ami commun, prenait ses repas avec eux.

Or, voilà que son fiancé était là. Ils se trouvaient tous les quatre sur la plage au moment où la cloche de l’hôtel annonçait le déjeuner.

Il y eut une hésitation de la part de Pierre Le Clinche, qui regarda ses compagnons avec embarras.

— Allons !… On mettra un couvert de plus…, dit Maigret.

Et il prit le bras de sa femme pour traverser la digue. Le jeune couple suivit, silencieux. Ou plutôt Marie seule parlait, à voix basse, mais d’une façon catégorique.

— Tu sais ce qu’elle lui dit, toi ? demanda le commissaire à sa femme.

— Oui ! elle me l’a répété dix fois ce matin pour savoir si c’était bien… Elle lui affirme qu’elle ne lui en veut en rien, quoi qu’il se soit passé… Tu comprends ? elle ne parle pas de femme… Elle feint de ne pas savoir, mais elle m’a affirmé qu’elle appuierait quand même sur les mots quoi qu’il se soit passé… Pauvre petite !… Elle irait le chercher au bout du monde.

— Hélas ! soupira Maigret.

— Que veux-tu dire ?

— Rien… C’est notre table ?…

Le déjeuner fut calme, trop calme. Les tables étaient serrées les unes contre les autres, si bien qu’on ne pouvait guère parler à voix haute.

Maigret évitait d’observer Le Clinche, afin de le mettre à l’aise, mais l’attitude du télégraphiste n’était quand même pas sans l’inquiéter, comme elle inquiétait Marie Léonnec, qui avait un visage tout chiffonné.

Le jeune homme restait morne, accablé. Il mangeait. Il buvait. Il répondait aux questions. Mais sa pensée était ailleurs. Et plusieurs fois, en entendant des pas derrière lui, il sursauta comme s’il eût craint un danger.

Les baies de la salle à manger étaient larges ouvertes et l’on voyait la mer pailletée de soleil. Il faisait chaud. Le Clinche tournait le dos au paysage et il lui arrivait de se retourner brusquement, d’un mouvement nerveux, pour interroger l’horizon.

C’était Mme Maigret qui faisait les frais de la conversation, s’adressant surtout à la jeune fille, parlant de futilités, pour ne pas laisser peser le silence.

On était loin de tout drame. Décor d’hôtel de famille. Bruit rassurant d’assiettes et de verres. Une demi-bouteille de bordeaux sur la table et une bouteille d’eau minérale.

D’ailleurs, le gérant s’y méprit, s’approcha, au dessert, et demanda :

— Faudra-t-il faire préparer une chambre pour monsieur ?…

C’était Le Clinche qu’il regardait. Il avait flairé le fiancé. Et sans doute prenait-il les Maigret pour les parents de la jeune fille !

Deux ou trois fois le télégraphiste eut le même geste que le matin, pendant la confrontation. Un mouvement rapide de la main sur le front. Un mouvement très mou, très las.

— Que faisons-nous ?…

Les dîneurs se dispersaient. Les quatre personnages étaient debout sur la terrasse.

— Si l’on s’asseyait un moment ?… proposa Mme Maigret.

Leurs fauteuils-hamacs étaient là, dans les galets. Les Maigret s’installèrent.

Les jeunes gens restèrent un moment debout, embarrassés.

— Nous marchons un peu ?… risqua enfin Marie Léonnec avec un vague sourire à l’adresse de Mme Maigret.

Le commissaire allumait sa pipe, grommelait, une fois seul avec sa femme :

— Si, cette fois, je n’ai pas l’air du beau-père !…

— Ils ne savent que faire… Leur situation est délicate… remarqua sa femme qui les suivait des yeux. Regarde-les… Ils sont gênés… Je me trompe peut-être, mais je crois que Marie a plus de caractère que son fiancé…

Il était piteux, en tout cas, à promener sa silhouette maigre à pas nonchalants sans s’occuper de sa compagne, sans rien dire, eût-on juré de loin. On sentait pourtant qu’elle y mettait de la bonne volonté, qu’elle bavardait pour l’étourdir, qu’elle essayait même de se montrer gaie.

Il y avait d’autres groupes sur la plage. Mais Le Clinche était le seul homme à n’avoir pas de pantalon blanc. Il était là en costume de ville, et faisait plus triste encore.

— Quel âge a-t-il ? demanda Mme Maigret.

Et son mari, renversé dans son fauteuil, les yeux mi-clos :

— Dix-neuf ans… Un gamin… Je crains bien que ce ne soit désormais un oiseau pour le chat…

— Pourquoi ?… Il n’est pas innocent ?…

— Il n’a probablement pas tué… Non !… J’en mettrais ma main au feu… Mais je crains bien qu’il soit perdu quand même… Regarde-le !… Regarde-la !…

— Bah ! Qu’ils soient un moment seuls et ils s’embrasseront…

— Peut-être…

Maigret était pessimiste.

— Elle est à peine plus âgée que lui… Elle l’aime bien… Elle est prête à devenir une gentille petite épouse…

— Pourquoi crois-tu que ?…

— …Que cela n’arrivera pas ?… Une impression… As-tu déjà contemplé la photographie de personnes mortes jeunes ?… J’ai toujours été frappé par le fait que ces portraits-là, faits pourtant alors que les gens étaient en bonne santé, ont déjà quelque chose de lugubre… On dirait que ceux qui sont destinés à être victimes d’un drame portent leur condamnation sur le visage…

— Et tu trouves que ce garçon… ?

— Est un triste, a toujours été un triste ! Il est né pauvre ! Il a souffert de sa pauvreté ! Il a trimé tant qu’il a pu, avec acharnement, comme on nage contre un courant ! Il est parvenu à se fiancer à une jeune fille charmante, d’une condition sociale supérieure à la sienne… Eh bien, je n’y crois pas… Regarde-les… Ils se débattent… Ils voudraient être optimistes… Ils essaient de croire à leur destinée…

Maigret parlait doucement, d’une voix sourde en suivant des yeux les deux silhouettes qui se découpaient sur la mer scintillante.

— Qui est-ce qui dirige officiellement l’enquête ?

— Girard, un commissaire de la Brigade du Havre que tu ne connais pas. Un homme intelligent…

— Il le croit coupable ?

— Non ! Et en tout cas il n’y a aucune preuve, ni même aucune présomption sérieuse…

— Qu’est-ce que tu penses, toi ?

Maigret se retourna, comme pour apercevoir le chalutier que lui cachait un pâté de maisons.

— Je pense que ça a été une campagne tragique, pour deux hommes au moins… Assez tragique pour qu’au retour le capitaine Fallut ne puisse plus vivre, pour que le télégraphiste ne puisse plus reprendre le fil normal de son existence

— À cause d’une femme ?

Il ne répondit pas directement à la question, poursuivit :

— Et tous les autres, ceux qui étaient en dehors du drame, jusqu’aux soutiers, en ont été marqués, à leur insu… Ils sont revenus hargneux, inquiets… Deux hommes et une femme, trois mois durant, se sont agités autour du rouf arrière… Quelques cloisons noires percées de hublots… Cela a suffi…

— Je t’ai rarement vu aussi impressionné par une affaire… Tu parles de trois personnages… Qu’est-ce qu’ils ont pu faire, en plein océan ?…

— Oui… Qu’est-ce qu’ils ont pu faire ?… Une chose qui a suffi à tuer le capitaine Fallut !… Et qui suffit encore maintenant à désemparer ces deux-là, qui ont l’air de chercher dans les galets les restes de leurs rêves…

Ils se rapprochaient, les bras ballants, ne sachant si la politesse leur commandait de rejoindre les Maigret ou si la discrétion leur conseillait de s’éloigner.

Au cours de sa promenade, Marie Léonnec avait perdu beaucoup de son énergie. Elle lança à Mme Maigret un regard découragé. On devinait que toutes ses tentatives, tous ses élans s’étaient heurtés comme à un mur de désespoir ou d’inertie.


Mme Maigret avait l’habitude de goûter. Si bien que vers quatre heures, ils s’installèrent tous les quatre à la terrasse de l’hôtel sous les parasols à rayures qui donnaient à l’atmosphère une gaieté conventionnelle.

Du chocolat fumait dans deux tasses. Maigret avait commandé de la bière, Le Clinche une fine à l’eau.

On parlait de Jorissen, l’instituteur de Quimper qui avait fait appel à Maigret en faveur du télégraphiste et qui avait amené Marie Léonnec. On échangeait des phrases banales.

— C’est le meilleur homme de la terre…

On brodait sur ce thème, sans conviction, parce qu’il fallait parler. Soudain les yeux de Maigret clignotèrent, fixés sur un couple qui s’avançait le long de la digue.

C’étaient Adèle et Gaston Buzier, lui dégingandé, les mains dans les poches, le canotier rejeté en arrière, la démarche nonchalante, elle animée et provocante comme d’habitude.

— Pourvu qu’elle ne nous aperçoive pas ! songea le commissaire.

Et, au même instant, le regard d’Adèle croisait le sien. La fille s’arrêtait, disait quelque chose à son compagnon qui tentait de la dissuader.

Trop tard ! Elle traversait la rue. Elle examinait une à une les tables de la terrasse, choisissait la plus proche des Maigret, s’installait de façon à avoir Marie Léonnec juste en face d’elle.

Son amant la suivit avec un haussement d’épaules, toucha le bord de son canotier en passant devant le commissaire, se mit à califourchon sur une chaise.

— Qu’est-ce que tu prends ?

— Pas un chocolat, bien sûr !… Un kummel !

N’était-ce pas déjà une déclaration de guerre ? Tout en parlant du chocolat, elle fixait la tasse de la jeune fille et Maigret vit Marie Léonnec tressaillir.

Elle n’avait jamais vu Adèle. Mais n’avait-elle pas compris ? Elle regarda Le Clinche, qui détourna la tête.

Le pied de Mme Maigret toucha à deux reprises celui de son mari.

— Si nous allions tous les quatre jusqu’au Casino…

Elle avait deviné aussi. Mais personne ne lui répondait. Seule Adèle parlait, à la table voisine, soupirait :

— Quelle chaleur !… Prends ma jaquette, Gaston…

Et elle retirait la jaquette de son tailleur, se montrait en soie rose, les chairs luxuriantes, les bras nus. Ses prunelles ne quittaient pas un seul instant la jeune fille.

— Tu aimes le gris, toi ?… Tu ne trouves pas qu’on devrait interdire de porter des teintes aussi tristes sur les plages ?…

C’était idiot ! Marie Léonnec était en gris. L’autre manifestait sa volonté d’attaquer, n’importe comment, au plus vite.

— Eh bien, garçon ? Est-ce pour aujourd’hui ?

Elle avait la voix aiguë. Et l’on eût dit qu’elle exagérait encore à dessein sa vulgarité.

Gaston Buzier flairait le danger. Il connaissait sa maîtresse. Il lui dit quelques mots à voix basse. Mais elle, très haut, de répliquer :

— Et après ? Est-ce que la terrasse n’est pas à tout le monde ?…

Mme Maigret était seule à leur tourner le dos. Maigret et le télégraphiste étaient de profil, Marie Léonnec de face.

— Tout le monde se vaut, pas vrai ?… Seulement il y a des gens qui se traînent à vos pieds quand on ne peut pas les voir et qui ne vous saluent même pas quand ils sont en compagnie !…

Et elle rit ! Un rire déplaisant ! Elle fixait la jeune fille qui était devenue pourpre !

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