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Simenon, Georges - Le chien jaune

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— Allô !… C’est vous, mademoiselle Jeanne ? En vitesse, hein !… Il est encore temps pour quelques éditions de province… Les autres ne l’auront que dans l’édition de Paris… Vous direz au secrétaire de rédaction de rédiger le papier… Je n’ai pas le temps…

Affaire de Concarneau… Nos prévisions étaient justes… Nouveau crime… Allô ! Oui, crime !… Un homme tué, si vous aimez mieux…

Tout le monde s’était tu. Le docteur, fasciné, se rapprochait du journaliste, qui poursuivait, fiévreux, triomphant, trépidant :

— Après M. Mostaguen, après le journaliste Jean Servières, M. Le Pommeret ! Oui… Je vous ai épelé le nom tout à l’heure… Il vient d’être trouvé mort dans sa chambre… Chez lui !… Pas de blessure… Les muscles sont raidis et tout fait croire à un empoisonnement… Attendez… Terminez par : « la terreur règne… » Oui !… Courez voir le secrétaire de rédaction… Je vous dicterai tout à l’heure un papier pour l’édition de Paris, mais il faut que l’information passe dans les éditions de province…

Il raccrocha, s’épongea, jeta à la ronde un regard de jubilation.

Le téléphone fonctionnait déjà.

— Allô !… Le commissaire ?… Il y a un quart d’heure qu’on essaie de vous avoir… Ici, la maison de M. Le Pommeret… Vite !… Il est mort !…

Et la voix répéta dans un hululement :

— Mort…

Maigret regarda autour de lui. Sur presque toutes les tables, il y avait des verres vides. Emma, exsangue, suivait le policier des yeux.

— Qu’on ne touche ni à un verre ni à une bouteille ! commanda-t-il… Vous entendez, Leroy ?… Ne bougez pas d’ici !

Le docteur, le front ruisselant de sueur, avait arraché son foulard et on voyait son cou maigre, sa chemise maintenue par un bouton de col à bascule.


Quand Maigret arriva dans l’appartement de Le Pommeret, un médecin qui habitait la maison voisine avait déjà fait les premières constatations.

Il y avait là une femme d’une cinquantaine d’années, la propriétaire de l’immeuble, celle-là même qui avait téléphoné.

Une jolie maison en pierres grises, face à la mer. Et toutes les vingt secondes, le pinceau lumineux du phare incendiait les fenêtres.

Un balcon. Une hampe de drapeau et un écusson aux armes du Danemark.

Le corps était étendu sur le tapis rougeâtre d’un studio encombré de bibelots sans valeur. Dehors, cinq personnes regardèrent passer le commissaire sans prononcer une parole.

Sur les murs, des photographies d’actrices, des dessins découpés dans les journaux galants et mis sous verre, quelques dédicaces de femmes.

Le Pommeret avait la chemise arrachée. Ses souliers étaient encore lourds de boue.

— Strychnine ! dit le médecin. Du moins je le jurerais… Regardez ses yeux… Et surtout rendez-vous compte de la raideur du corps… L’agonie a duré plus d’une demi-heure… Peut-être plus…

— Où étiez-vous ? demanda Maigret à la logeuse.

— En bas… Je sous-louais tout le premier étage à M. Le Pommeret, qui prenait ses repas chez moi… Il est rentré dîner vers huit heures… Il n’a presque rien mangé… Je me souviens qu’il a prétendu que l’électricité marchait mal, alors que les lampes éclairaient normalement…

« Il m’a dit qu’il allait ressortir, mais qu’il prendrait d’abord un cachet d’aspirine, car il avait la tête lourde…

Le commissaire regarda le docteur d’une façon interrogative.

— C’est bien cela !… Les premiers symptômes…

— Qui se déclarent combien de temps après l’absorption du poison ?…

— Cela dépend de la dose et de la constitution de l’homme… Parfois une demi-heure… D’autres fois deux heures…

— Et la mort ?…

— … ne survient qu’à la suite de paralysie générale… Mais il y a auparavant des paralysies locales… Ainsi, il est probable qu’il a essayé d’appeler… Il était couché sur ce divan…

Ce même divan qui valait au logis de Le Pommeret d’être appelé la maison des turpitudes ! Les gravures galantes étaient plus nombreuses qu’ailleurs autour du meuble. Une veilleuse distillait une lumière rose.

— Il s’est agité, comme dans une crise de delirium tremens… La mort l’a pris par terre…

Maigret marcha vers la porte qu’un photographe voulait franchir et la lui ferma au nez.

Il calculait à mi-voix :

— Le Pommeret a quitté le Café de l’Amiral un peu après sept heures… Il avait bu une fine à l’eau… Ici, un quart d’heure plus tard, il a bu et mangé… D’après ce que vous me dites des effets de la strychnine, il a pu tout aussi bien avaler le poison là-bas qu’ici…

Il se rendit tout à coup au rez-de-chaussée, où la logeuse pleurait, encadrée par trois voisines.

— Les assiettes, les verres du dîner ?…

Elle fut quelques instants sans comprendre. Et, quand elle voulut répondre, il avait déjà aperçu, dans la cuisine, une bassine d’eau encore chaude, des assiettes propres à droite, des sales à gauche, et des verres.

— J’étais occupée à faire la vaisselle quand…

Un sergent de ville arrivait.

— Gardez la maison. Mettez tout le monde dehors, sauf la propriétaire… Et pas un journaliste, pas un photographe !… Qu’on ne touche pas à un verre, ni à un plat…

Il y avait cinq cents mètres à parcourir dans la bourrasque pour regagner l’hôtel. La ville était dans l’ombre. C’est à peine s’il restait deux ou trois fenêtres éclairées, à de grandes distances l’une de l’autre.

Sur la place, par contre, à l’angle du quai, les trois baies verdâtres de l’Hôtel de l’Amiral étaient illuminées, mais, à cause des vitraux, elles donnaient plutôt l’impression d’un monstrueux aquarium.

Quand on approchait, on percevait des bruits de voix, une sonnerie de téléphone, le ronron d’une voiture qu’on mettait en marche.

— Où allez-vous ? questionna Maigret.

Il s’adressait à un journaliste.

— La ligne est occupée ! Je vais téléphoner ailleurs… Dans dix minutes, il sera trop tard pour mon édition de Paris…

L’inspecteur Leroy, debout dans le café, avait l’air d’un pion qui surveille l’étude du soir. Quelqu’un écrivait sans trêve. Le voyageur de commerce restait ahuri, mais passionné, dans cette atmosphère nouvelle pour lui.

Tous les verres étaient restés sur les tables. Il y avait des verres à pied ayant contenu des apéritifs, des demis encore gras de mousse, des petits verres à liqueur.

— A quelle heure a-t-on débarrassé les tables ?…

Emma chercha dans sa mémoire.

— Je ne pourrais pas dire. Il y a des verres que j’ai enlevés au fur et à mesure… D’autres sont là depuis l’après-midi…

— Le verre de M. Le Pommeret ?…

— Qu’est-ce qu’il a bu, monsieur Michoux ?…

Ce fut Maigret qui répondit :

— Une fine à l’eau…

Elle regarda les soucoupes les unes après les autres.

— Six francs… Mais j’ai servi un whisky à un de ces messieurs et c’est le même prix… Peut-être est-ce ce verre-ci ?… Peut-être pas…

Le photographe, qui ne perdait pas le nord, prenait des clichés de toute cette verrerie glauque étalée sur les tables de marbre.

— Allez me chercher le pharmacien ! commanda le commissaire à Leroy.

Et ce fut vraiment la nuit des verres et des assiettes. On en apporta de la maison du vice-consul de Danemark. Les reporters pénétraient dans le laboratoire du pharmacien comme chez eux, et l’un d’eux, ancien étudiant en médecine, participait même aux analyses.

Le maire, au téléphone, s’était contenté de laisser tomber d’une voix coupante :

— … toutes vos responsabilités…

On ne trouvait rien. Par contre, le patron surgit soudain, questionna :

— Qu’est-ce qu’on a fait du chien ?…

Le réduit où on l’avait couché sur la paille était vide. Le chien jaune, incapable de marcher et même de se traîner, à cause du pansement qui emprisonnait son arrière-train, avait disparu.

Les verres ne révélaient rien !

— Celui de M. Le Pommeret a peut-être été lavé… Je ne sais plus… Dans cette bousculade !… disait Emma.

Chez la logeuse aussi, la moitié de la vaisselle avait été passée à l’eau chaude.

Ernest Michoux, le teint terreux, s’inquiétait surtout de la disparition du chien.

— C’est par la cour qu’on est venu le chercher !… Il y a une entrée sur le quai… Une sorte d’impasse… Il faudrait faire condamner la porte, commissaire… Sinon… Pensez qu’on a pu pénétrer ici sans que personne s’en aperçoive !… Et repartir avec cet animal dans les bras !…

On eût dit qu’il n’osait pas quitter le fond de la salle, qu’il se tenait aussi loin des portes que possible.

V


L’homme au Cabélou

Il était huit heures du matin. Maigret, qui ne s’était pas couché, venait de prendre un bain et achevait de se raser devant un miroir suspendu à l’espagnolette de la fenêtre.

Il faisait plus froid que les jours précédents. La pluie trouble ressemblait à de la neige fondue. Un reporter, en bas, guettait l’arrivée des journaux de Paris. On avait entendu siffler le train de sept heures et demie. Dans quelques instants, on verrait arriver les porteurs d’éditions sensationnelles.

Sous les yeux du commissaire, la place était encombrée par le marché hebdomadaire. Mais on devinait que ce marché n’avait pas son animation habituelle. Les gens parlaient bas. Des paysans semblaient inquiets des nouvelles qu’ils apprenaient.

Sur le terre-plein, il y avait une cinquantaine d’étals, avec des mottes de beurre, des œufs, des légumes, des bretelles et des bas de soie. A droite, des carrioles de tous modèles stationnaient et l’ensemble était dominé par le glissement ailé des coiffes blanches aux larges dentelles.

Maigret ne s’aperçut qu’il se passait quelque chose qu’en voyant toute une portion du marché changer de physionomie, les gens s’agglutiner et regarder dans une même direction. La fenêtre était fermée. Il n’entendait pas les bruits, ou plutôt ce n’était qu’une rumeur confuse qui lui parvenait.

Il chercha plus loin. Au port, quelques pêcheurs chargeaient des paniers vides et des filets dans les barques. Mais ils s’immobilisaient soudain, faisaient la haie au passage des deux agents de police de la ville qui conduisaient un prisonnier vers la mairie.

Un des policiers était tout jeune, imberbe. Son visage était pétri de naïveté. L’autre portait de fortes moustaches acajou, et d’épais sourcils parvenaient presque à lui donner un air terrible.

Au marché, les discussions avaient cessé. On regardait les trois hommes qui s’avançaient. On se montrait les menottes serrant les poignets du malfaiteur.

Un colosse ! Il marchait penché en avant, ce qui faisait paraître ses épaules deux fois plus larges. Il traînait les pieds dans la boue et c’était lui qui semblait tirer les agents en remorque.

Il portait un vieux veston quelconque. Sa tête nue était plantée de cheveux drus, très courts et très bruns.

Le journaliste courait dans l’escalier, ébranlait une porte, criait à son photographe endormi :

— Benoît !… Benoît !… Vite !… Debout… Un cliché épatant…

Il ne croyait pas si bien dire. Car, pendant que Maigret effaçait les dernières traces de savon sur ses joues et cherchait son veston, sans quitter la place des yeux, il se passa un événement vraiment extraordinaire.

La foule n’avait pas tardé à se resserrer autour des agents et du prisonnier. Brusquement celui-ci, qui devait guetter depuis longtemps l’occasion, donna une violente secousse à ses deux poignets.

De loin, le commissaire vit les piteux bouts de chaîne qui pendaient aux mains des policiers. Et l’homme fonçait sur le public. Une femme roula par terre. Des gens s’enfuirent. Personne n’était revenu de sa stupeur que le prisonnier avait bondi dans une impasse, à vingt mètres de l’Hôtel de l’Amiral, tout à côté de la maison vide dont la boîte aux lettres avait craché une balle de revolver le vendredi précédent.

Un agent – le plus jeune – faillit tirer, hésita, se mit à courir en tenant son arme de telle manière que Maigret attendait l’accident. Un auvent de bois céda sous la pression des fuyards et son toit de toile s’abattit sur les mottes de beurre.

Le jeune agent eut le courage de se précipiter tout seul dans l’impasse. Maigret, qui connaissait les lieux, acheva de s’habiller sans fièvre.

Car ce serait désormais un miracle de retrouver la brute. Le boyau, large de deux mètres, faisait deux coudes en angle droit. Vingt maisons qui donnaient sur le quai ou sur la place avaient une issue dans l’impasse. Et il y avait en outre des hangars, les magasins d’un marchand de cordages et d’articles pour bateaux, un dépôt de boîtes à conserve, tout un fouillis de constructions irrégulières, des coins et des recoins, des toits facilement accessibles qui rendaient une poursuite à peu près impossible.

La foule, maintenant, se tenait à distance. La femme qu’on avait renversée, rouge d’indignation, tendait le poing dans toutes les directions tandis que des larmes venaient trembler sous son menton.

Le photographe sortit de l’hôtel, un trench-coat passé sur son pyjama, pieds nus.


Une demi-heure plus tard, le maire arrivait, peu après le lieutenant de gendarmerie, dont les hommes se mettaient en devoir de fouiller les maisons voisines.

En trouvant Maigret attablé dans le café en compagnie du jeune agent et occupé à dévorer des toasts, le premier magistrat de la ville trembla d’indignation.

— Je vous ai prévenu, commissaire, que je vous rendais responsable de… de… Mais cela n’a pas l’air de vous émouvoir !… J’enverrai tout à l’heure un télégramme au Ministère de l’intérieur pour le mettre au courant de… de… et lui demander… Avez-vous seulement vu ce qui se passe dehors ?… Les gens fuient leur maison… Un vieillard impotent hurle d’effroi parce qu’il est immobilisé à un deuxième étage… On croit voir le bandit partout…

Maigret se retourna, aperçut Ernest Michoux qui, tel un enfant peureux, se tenait aussi près de lui que possible sans déplacer plus d’air qu’un fantôme.

— Vous remarquerez que c’est la police locale, c’est-à-dire de simples agents de police, qui l’ont arrêté, pendant que…

— Vous tenez toujours à ce que je procède à une arrestation ?

— Que voulez-vous dire ?… Prétendez-vous mettre la main sur le fuyard ?…

— Vous m’avez demandé hier une arrestation, n’importe laquelle…

Les journalistes étaient dehors, aidaient les gendarmes dans leurs recherches. Le café était à peu près vide, en désordre, car on n’avait pas encore eu le temps de faire le nettoyage. Une âcre odeur de tabac refroidi prenait à la gorge. On marchait sur les bouts de cigarettes, les crachats, la sciure et les verres brisés.

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