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Simenon, Georges - Monsieur Gallet, décédé

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Maigret ajouta consciencieusement cette petite touche à l’image encore si incomplète qu’il possédait du mort. Il regarda le bachot, la Seine, fit un effort pour imaginer l’homme à barbiche immobile, des heures durant, un bambou à la main.

Puis il s’achemina vers les Marguerites, non sans remarquer qu’un corbillard de deuxième classe, à vide, suivait la même route que lui.

Il n’y avait pas une silhouette aux abords de la maison, sinon celle d’un homme qui poussait une brouette et qui s’arrêta en voyant le char funèbre, attendit, curieux sans doute de voir le cortège.

La cloche de la grille avait été entourée d’un linge. La porte d’entrée était drapée de noir et l’initiale du défunt se détachait en broderie d’argent.

Maigret ne s’attendait pas à tant d’apparat. A gauche, dans le corridor, était posé un plateau avec une seule carte cornée : celle du maire de Saint-Fargeau.

Le salon où le commissaire avait été reçu était transformé en chapelle ardente et les meubles avaient dû être transportés dans la salle à manger. Des tentures noires couvraient les murs ; le cercueil était exposé au centre, entouré de cierges.

On n’eût pu dire pourquoi cela avait quelque chose de mystérieux, d’équivoque. Peut-être parce qu’il n’y avait pas un visiteur et qu’on sentait qu’il n’en viendrait pas, bien que le corbillard fût déjà à la porte ?

Cette carte de visite, toute seule, en fausse litho ! Toutes ces larmes d’argent ! Et, de chaque côté du cercueil, une silhouette : Mme Gallet à droite, en grand deuil, le crêpe sur le visage, un chapelet de grains mats entre les doigts ; Henry Gallet à gauche, tout en noir mat, lui aussi.

Maigret s’avança sans bruit, s’inclina, trempa un brin de buis dans l’eau bénite et en aspergea le cercueil. Il sentit que la mère et le fils le suivaient des yeux, mais pas une parole ne fut prononcée.

Alors il alla se mettre dans un coin, guettant à la fois les bruits du dehors et les expressions de physionomie du jeune homme. Parfois les chevaux donnaient un coup de sabot sur le sol de l’allée. Les croque-morts parlaient à mi-voix, dans le soleil, près de la fenêtre. Et, dans la chambre mortuaire, que n’éclairaient que les cierges, le visage irrégulier du fils paraissait plus irrégulier, à cause de tout le noir qui mettait en valeur la blancheur maladive de sa peau.

Ses cheveux, séparés par une raie, étaient collés au crâne. Il avait le front haut, bosselé. Derrière les verres épais des lunettes d’écaille, il était difficile de saisir son regard inquiet de myope.

Parfois Mme Gallet se tamponnait les yeux de son mouchoir de deuil, sous le voile. Et les prunelles de Henry ne se fixaient nulle part. Elles glissaient sur les choses, évitant toujours le commissaire, qui entendit avec soulagement les pas des croque-morts.

Un peu plus tard, la civière heurtait les murs du corridor. Un petit sanglot éclata dans la gorge de Mme Gallet, à qui son fils se contenta de tapoter l’épaule en regardant ailleurs.

Le contraste fut violent entre le faste du corbillard de seconde classe et les deux silhouettes qui se mettaient en marche, précédées d’un maître de cérémonie dérouté.

Il faisait toujours aussi chaud. L’homme à la brouette se signa et s’en alla par un chemin de traverse tandis que le cortège suivait, tout menu, l’allée assez large pour voir défiler des régiments.


Laissant la cérémonie religieuse se dérouler, tandis qu’un petit groupe de paysans stationnaient sur la place, Maigret pénétra à la mairie, où il ne trouva personne. Il dut aller chercher dans sa classe l’instituteur, qui était en même temps adjoint au maire, et les enfants furent abandonnés un moment.

— Tout ce que je peux vous dire, c’est ce qui est inscrit à nos registres. Tenez : « Gallet, Emile-Yves-Pierre, né à Nantes en 1879, marié à Paris, en octobre 1902, à Aurore Préjean… Un fils, Henry, né à Paris en 1906 et inscrit à la mairie du IIe arrondissement… »

— Les gens du pays ne les aiment pas ?

— C’est-à-dire que les Gallet, qui ont fait construire la villa en 1910, lorsqu’on a mis la forêt en lotissement, n’ont jamais voulu voir personne… Ce sont des gens très fiers… Il m’est arrivé de pêcher tout un dimanche dans mon bachot, à moins de dix mètres de celui de Gallet… Si j’avais besoin de quelque chose, il me le donnait, mais je n’aurais pas pu lui arracher cinq phrases de suite…

— A combien évaluez-vous leur train de vie ?

— Je ne sais pas au juste, car j’ignore ce qu’il dépensait en voyage… Mais, rien que pour ici, il leur fallait au moins deux mille francs par mois… Si vous avez vu la villa, vous avez pu constater qu’il n’y manque rien… Ils font venir presque toutes les denrées de Corbeil ou de Melun… Encore une chose qui…

Mais, par la fenêtre, Maigret aperçut le cortège qui contournait l’église et pénétrait dans le cimetière. Il remercia son interlocuteur, entendit, de la route, la première pelletée de terre qui tombait sur le cercueil.

Il évita de se montrer, fit un détour pour regagner la villa, où il eut soin d’arriver un peu après les Gallet. La bonne, qui lui ouvrit la porte, le regarda en hésitant.

— Madame ne peut… commença-t-elle.

— Dites à M. Henry que j’ai besoin de lui parler.

La servante aux yeux de travers le laissa dehors. Quelques instants plus tard, la silhouette du jeune homme se profila dans le corridor. Il s’avança vers le seuil, questionna en regardant au-delà de Maigret :

— Vous ne pouvez pas remettre cette visite à un autre jour ? Ma mère est fort accablée…

— Je dois vous parler, aujourd’hui. Veuillez excuser mon insistance.

Henry fit demi-tour, laissant entendre ainsi que le policier n’avait qu’à le suivre. Il hésita devant les portes et poussa enfin celle de la salle à manger, où les meubles du salon avaient été entassés, si bien qu’on pouvait à peine y circuler.

Maigret vit le portrait de premier communiant à plat sur la table, chercha en vain celui d’Emile Gallet.

Henry ne s’assit pas, ne dit rien, mais il retira ses lunettes pour en essuyer les verres d’un air ennuyé tandis que ses paupières battaient, surprises par la lumière crue.

— Vous savez sans doute que je suis chargé de retrouver l’assassin de votre père…

— C’est pourquoi je m’étonne de vous voir ici à un moment où il serait plus décent de nous laisser seuls, ma mère et moi !

Et Henry remit ses lunettes, rentra une manchette empesée qui glissait sur sa main couverte des mêmes poils roussâtres que la poitrine du cadavre de Sancerre.

Son visage osseux, aux traits fortement dessinés, à l’expression morne et un peu chevaline, n’avait pas un tressaillement. Il s’était accoudé au piano posé de travers, dont on voyait le dos de toile verte.

— Je voudrais vous demander quelques renseignements, tant sur votre père que sur la famille tout entière.

Henry n’ouvrit pas la bouche, ne bougea pas, resta debout à la même place, glacé, funèbre.

— Voudriez-vous me dire d’abord où vous étiez le samedi 25 juin, vers quatre heures de l’après-midi ?

— Je vous poserai avant tout une question. Suis-je obligé, moi, à un moment comme celui-ci, de vous recevoir et de vous répondre ?

Toujours une même voix neutre, à base d’ennui, comme si chaque syllabe lui eût causé de la fatigue.

— Vous êtes libre de vous taire. Cependant, je vous ferai remarquer…

— A quel endroit votre enquête vous a-t-elle révélé que j’étais ?…

Maigret ne répondit pas et, à vrai dire, il fut abasourdi par ce retournement inattendu, d’autant plus inattendu qu’il était impossible de lire la moindre subtilité sur les traits du jeune homme.

Henry laissa s’écouler quelques secondes. On entendit la bonne qui, d’en bas, répondait à un appel du premier étage :

— Je viens, madame !

— Eh bien ?

— Puisque vous le savez, j’y étais…

— A Sancerre ?

Henry ne broncha pas.

— Et vous y aviez une discussion avec votre père, sur la route du vieux château…

C’était Maigret le plus nerveux, car il avait l’impression que ses coups frappaient dans le vide. Sa voix était sans résonance, ses soupçons sans écho.

Le plus étonnant, c’était le silence de Henry Gallet, qui ne tentait pas de s’expliquer, qui attendait.

— Pouvez-vous me dire ce que vous faisiez à Sancerre ?

— J’allais voir ma maîtresse, Eléonore Boursang, installée pour les vacances à la Pension Germain, route de Sancerre, à Saint-Thibaut.

Il releva imperceptiblement les sourcils, qu’il avait épais comme Emile Gallet.

— Vous ignoriez la présence de votre père à Sancerre ?

— Si je ne l’avais pas ignorée, j’aurais évité de le rencontrer.

Toujours un minimum d’explications, acculant le commissaire à des questions répétées.

— Vos parents étaient au courant de cette liaison ?

— Mon père la soupçonnait. Il y était opposé.

— Quel a été le sujet de votre entretien ?

— Vous enquêtez sur l’assassin ou sur la victime ? articula lentement le jeune homme.

— Je connaîtrai l’assassin quand je connaîtrai bien la victime. Votre père vous a fait des reproches ?

— Pardon ! Je lui ai reproché de m’espionner.

— Ensuite ?

— Rien ! Il m’a traité de fils irrespectueux. Je vous remercie de me le rappeler aujourd’hui.

Maigret entendit avec soulagement des pas dans l’escalier. Mme Gallet parut, aussi digne qu’à l’ordinaire, le cou alourdi par un triple rang de grosses pierres mates.

— Que se passe-t-il ? questionna-t-elle en regardant tour à tour Maigret et son fils. Pourquoi ne m’avez-vous pas appelé, Henry ?

La servante entra, après avoir frappé.

— Ce sont les tapissiers, pour enlever les tentures.

— Surveillez-les…

— Je suis venu chercher quelques renseignements que je juge indispensables à la découverte du coupable ! dit Maigret d’une voix qui devenait un peu trop sèche. Le moment est sans doute mal choisi, ainsi que votre fils me l’a fait remarquer. Mais chaque heure qui passe rend l’arrestation de l’assassin plus problématique.

Il chercha du regard Henry, qu’il trouva obstinément morne.

— Lorsque vous avez épousé Emile Gallet, madame, aviez-vous une fortune personnelle ?

Elle se raidit un peu, prononça avec un frémissement d’orgueil dans la voix :

— Je suis la fille d’Auguste Préjean…

— Excusez-moi, mais…

— L’ex-secrétaire du dernier prince de Bourbon… Le directeur du journal légitimiste Le Soleil… Mon père a dépensé jusqu’à son dernier centime pour faire paraître cet organe, qui menait le bon combat…

— Vous avez encore de la famille ?

— Je dois en avoir. Je ne la vois plus depuis mon mariage.

— Ce mariage vous était déconseillé ?

— Ce que je viens de vous dire devrait vous aider à comprendre. Toute ma famille est royaliste. Mes oncles ont tous occupé et certains occupent encore des situations en vue. On m’en a voulu d’épouser un voyageur de commerce…

— A la mort de votre père, vous étiez sans fortune ?

— Mon père est mort un an après mon mariage… Mon mari possédait, au moment de notre union, une trentaine de mille francs…

— Et sa famille ?

— Je ne l’ai pas connue ! Il évitait de m’en parler. Tout ce que je sais, c’est qu’il a eu une enfance pénible et qu’il a passé plusieurs années en Indochine…

Il y avait une ombre de sourire méprisant sur les lèvres du fils.

— Si je vous pose ces questions, madame, c’est que, d’une part, je viens d’apprendre que depuis dix-huit ans votre mari n’appartient plus à la Maison Niel…

Elle fixa le commissaire, puis Henry, protesta avec vivacité :

— Monsieur…

— Je tiens le renseignement de M. Niel lui-même…

— Peut-être vaudrait-il mieux, monsieur… commença le jeune homme en s’avançant vers Maigret.

— Non, Henry !… Je veux prouver que c’est faux, que c’est un odieux mensonge… Venez, commissaire… Mais si !… Suivez-moi…

Et, fébrile pour la première fois, elle se dirigea vers le corridor, où elle buta dans les tas de drap noir que roulaient les tapissiers. Elle conduisit ainsi le policier au premier étage, lui fit traverser une chambre à coucher en noyer ciré où l’on voyait encore, au portemanteau, un chapeau de paille d’Emile Gallet, ainsi qu’un complet de coutil qui devait lui servir pour la pêche.

Après cette chambre, il y avait une petite pièce aménagée en cabinet de travail.

— Regardez !… Voici ses échantillons… Et ces couverts, par exemple, de l’affreux style « Arts décoratifs », ne datent pas de dix-huit ans, n’est-ce pas ?… Voici le carnet de commandes que mon mari mettait à jour chaque fin de mois… Voici des lettres à en-tête de la Maison Niel qu’il recevait régulièrement…

Maigret regardait à peine. Il était persuadé qu’il aurait à revenir dans cette pièce et il préférait s’imprégner de l’atmosphère.

Ici encore, il essaya de situer Emile Gallet, dans le fauteuil tournant planté devant le bureau. Sur ce dernier, il y avait un encrier en métal blanc, une boule de cristal servant de presse-papiers.

Par la fenêtre, on apercevait l’allée centrale du lotissement et le toit rouge d’une villa inhabitée.

Les lettres à en-tête de la Maison Niel étaient tapées à la machine, selon un type à peu près uniforme :


Cher Monsieur,

Nous avons bien reçu votre lettre du 15 courant ainsi que le relevé des commandes pour janvier. Nous vous attendons fin de mois pour le règlement de nos comptes, comme d’habitude, et nous vous donnerons alors certaines indications au sujet de l’extension de votre champ d’activité.

Cordialement.

Signé : Jean Niel.


Maigret prit quelques-unes de ces lettres, qu’il glissa dans son portefeuille.

— Que pensez-vous maintenant ? questionna Mme Gallet d’un air de défi.

— Qu’est-ce que ceci ?

— Ce n’est rien… Mon mari se plaisait aux travaux manuels… Vous voyez là une vieille montre qu’il a démontée… Dans le hangar, il y a des tas d’objets qu’il a fabriqués lui-même, entre autres des articles de pêche… Chaque mois, il avait huit jours pleins à passer ici et ses écritures ne lui prenaient qu’une heure ou deux le matin…

Maigret ouvrait les tiroirs, au hasard. Dans l’un d’eux, il aperçut un volumineux dossier rose qui portait la mention : Soleil.

— Des papiers de mon père ! expliqua Mme Gallet. Je ne sais pas pourquoi nous les avons gardés. Dans ce placard, il y a toute la collection du journal, jusqu’au dernier numéro pour lequel mon père a vendu ses obligations…

— Vous permettez que j’emporte le dossier ?

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