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Simenon, Georges - Au Rendez-vous des Terre-Neuvas

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— Je ne sais pas…

— Il était habillé en marin ?

— Non !

— Donc, vous savez comment il était habillé ?

— J’ai seulement remarqué des souliers jaunes, alors qu’il passait près d’un bec de gaz…

— Qu’est-ce que vous avez fait ensuite ?

— Je suis allé à bord…

— Pourquoi ? Et pourquoi ne portiez-vous pas secours au capitaine ? Vous saviez qu’il était déjà mort ?…

Un silence pesant. Marie Léonnec qui joignait les mains d’angoisse :

— Mais parle, Pierre ! parle, je t’en supplie !

Des pas dans le couloir. Le geôlier venait annoncer qu’on attendait Le Clinche chez le juge d’instruction.

Sa fiancée voulut l’embrasser. Il hésita. Il finit par la prendre dans ses bras, lentement, d’un air réfléchi.

Et ce ne fut pas sa bouche qu’il baisa, mais les petits cheveux clairs et frisés des tempes.

— Pierre !…

— Il ne fallait pas venir ! lui dit-il, le front plissé, en suivant le geôlier d’une démarche lasse.

Maigret et Marie Léonnec gagnèrent la sortie sans rien dire. Dehors, elle soupira avec peine :

— Je ne comprends pas… je…

Mais, redressant la tête :

— Il est quand même innocent, j’en suis sûre ! Nous ne comprenons pas, parce que nous n’avons jamais été dans une situation pareille ! Voilà trois jours qu’il est en prison, que tout le monde l’accuse… Et c’est un timide !…

Maigret en fut attendri, tant elle s’ingéniait à mettre de fougue dans ses paroles, alors qu’elle était totalement découragée.

— Vous ferez quelque chose malgré tout, n’est-ce pas ?…

— À condition que vous retourniez chez vous, à Quimper…

— Non !… Pas ça !… Dites !… Permettez-moi de…

— Eh bien, filez à la plage. Installez-vous près de ma femme et essayez de vous occuper. Elle aura bien un ouvrage de broderie pour vous…

— Qu’est-ce que vous allez faire ?… Vous croyez que cette indication des souliers jaunes…

On se retournait sur eux, car Marie Léonnec était si animée qu’ils avaient l’air de se disputer.

— Je vous répète que je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir… Tenez ! cette rue conduit tout droit à l’Hôtel de la Plage… Dites à ma femme que je rentrerai peut-être déjeuner assez tard…

Et il fit volte-face, gagna les quais. Son air bourru avait disparu. Il souriait presque.

Il avait craint une scène tumultueuse dans la cellule, des protestations véhémentes, des larmes, des baisers. Cela s’était passé autrement, d’une façon à la fois plus simple, plus déchirante et plus significative.

Le personnage lui plaisait, justement par ce qu’il avait de distant, de concentré.

Devant une boutique, il rencontra P’tit Louis qui avait une paire de bottes en caoutchouc à la main.

— Où vas-tu ?

— Les vendre ! Vous ne voulez pas les racheter ? Ce qu’on fait de mieux au Canada ! Je vous défie d’en trouver des pareilles en France. Deux cents francs…

P’tit Louis était quand même un peu inquiet et n’attendait que la permission de poursuivre sa route.

— Est-ce qu’il t’est déjà venu à l’idée que le capitaine Fallut était timbré ?…

— Vous savez, dans les soutes, on ne voit pas grand-chose…

— Mais on parle !… Alors ?…

— Évidemment qu’il y a eu de drôles d’histoires !…

— Quoi ?…

— Tout… Rien !… C’est difficile à expliquer… Surtout une fois à terre !…

Il tenait toujours ses bottes à la main et le marchand d’articles pour la marine qui l’avait repéré l’attendait sur son seuil.

— Vous n’avez plus besoin de moi ?

— Quand est-ce que ça a commencé exactement ?

— Tout de suite, quoi !… Un bateau, c’est bien portant ou c’est malade… Eh bien, l’Océan était malade…

— Des fausses manœuvres ?

— Et tout ! Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?… Des choses qui n’ont pas de sens, mais qui existent quand même… La preuve, c’est qu’on avait l’impression qu’on ne rentrerait pas… Alors, c’est vrai qu’on ne m’embêtera plus pour cette affaire de portefeuille ?…

— On verra…

Le port était à peu près vide. L’été, tous les bateaux sont à Terre-Neuve, sauf les barques de pêche qui font le poisson frais le long de la côte. Il n’y avait que l’Océan à profiler sa silhouette sombre dans le bassin et c’était lui qui saturait l’air d’une forte odeur de morue.

Près des wagons, un homme en guêtres de cuir, en casquette à galon de soie.

— L’armateur ? demanda Maigret à un douanier qui passait.

— Oui… le directeur de la Morue française…

Le commissaire se présenta. L’autre le regarda avec méfiance, sans cesser de surveiller le déchargement.

— Que pensez-vous du meurtre de votre capitaine ?

— Ce que j’en pense ?… C’est que voilà huit cents tonnes de morue avariée !… Et que, si cela continue, le bateau ne repartira pas pour une seconde campagne !… Et ce n’est pas la police qui arrangera les choses, ni qui comblera le déficit !

— Vous aviez toute confiance en Fallut, n’est-ce pas ?

— Oui ! Et après ?

— Vous croyez que le télégraphiste…

— Télégraphiste ou non, c’est une année fichue ! Et je ne parle pas des filets qu’ils me rapportent ! Des filets qui ont coûté deux millions, vous entendez ?… Déchirés comme si l’on s’était amusé à pêcher des roches… L’équipage qui parle de mauvais œil par surcroît !… Hé ! là-bas… Qu’est-ce que vous faites ?… Mais, nom de N… de nom de D…, est-ce que j’ai dit, oui ou non, de finir avant tout le chargement de ce wagon ?…

Et il se mit à courir le long du bateau en fulminant contre tout le monde.

Maigret resta encore quelques instants à assister au déchargement. Puis il s’éloigna dans la direction de la jetée, parmi les groupes de pêcheurs en vareuse de toile rose.

Bientôt quelqu’un, derrière lui, fit :

— Pssst !… Pssst !… Hé ! monsieur le commissaire…

C’était Léon, le patron du Rendez-Vous des Terre-Neuvas, qui essayait de le rejoindre en actionnant aussi vite qu’il le pouvait ses courtes jambes.

— Venez prendre quelque chose à la maison…

Il avait l’air mystérieux, plein de promesses. En chemin, il expliqua :

— Cela se calme ! Ceux qui ne sont pas rentrés chez eux, en Bretagne ou dans les villages, ont à peu près dépensé tout leur argent… Ce matin, je n’ai eu que quelques pêcheurs de maquereau…

Ils traversaient le quai. Ils pénétraient dans le café qui était vide, hormis la servante qui essuyait les tables.

— Attendez !… Qu’est-ce que vous prenez ?… Un petit apéritif ?… Il est bientôt l’heure… Remarquez que, comme je vous le disais hier, je ne les pousse pas à la consommation… Au contraire !… Surtout que, quand ils ont bu, ils font de la casse pour plus que ce qu’ils me rapportent… Va donc voir à la cuisine si j’y suis, Julie…

Une œillade entendue au commissaire.

— À votre santé !… Je vous ai aperçu de loin… Alors, comme j’avais quelque chose à vous dire…

Il alla s’assurer que la fille n’écoutait pas derrière la porte. Puis, l’air de plus en plus énigmatique et ravi tout ensemble, il tira quelque chose de sa poche : un carton du format d’une photographie.

— Voilà ! Qu’est-ce que vous en dites ?…

C’était bien une photo, une photo de femme. Mais la tête était complètement couverte de traits à l’encre rouge. On avait voulu faire disparaître cette tête, rageusement. La plume avait gratté le papier. Il y avait des lignes dans tous les sens, au point qu’il n’existait plus un millimètre carré de visible.

Par contre, sous le visage, le buste était intact. Une poitrine assez opulente. Une robe de soie claire, très collante et très décolletée.

— Où avez-vous trouvé ça ?…

Nouvelles œillades.

— Entre nous, je peux bien le dire… La cantine de Le Clinche ferme mal… Alors, il avait pris l’habitude de glisser les lettres de sa fiancée sous le tapis de sa table…

— Et vous les lisiez ?

— C’était sans intérêt… C’est par hasard… Quand on a perquisitionné, on n’a pas pensé à regarder sous le tapis… L’idée m’en est venue hier au soir et voilà ce que j’ai trouvé… Bien sûr qu’on ne voit plus la tête… N’empêche que ce n’est pas la fiancée, qui n’est pas balancée comme ça !… J’ai vu son portrait aussi… Donc, il y a une autre femme sous roche…

Maigret regardait fixement le portrait. La ligne des épaules était savoureuse. La femme devait être moins jeune que Marie Léonnec. Et il y avait dans ce buste quelque chose d’extrêmement sensuel.

D’un peu vulgaire aussi ! La robe sentait la confection. Une coquetterie à bon marché.

— Il y a de l’encre rouge dans la maison ?

— Non ! Rien que de l’encre verte…

— Le Clinche ne se servait jamais d’encre rouge ?

— Jamais ! Il avait son encre à lui, à cause du stylo. De l’encre spéciale, bleu-noir…

Maigret se leva, gagna la porte.

— Vous permettez ?…

Quelques instants plus tard, il était à bord de l’Océan, fouillait la cabine du télégraphiste, puis celle du capitaine, sale et en désordre.

Il n’existait pas d’encre rouge sur le chalutier. Les pêcheurs n’en avaient jamais vu.

Quand il quitta le navire, Maigret reçut un mauvais regard de l’armateur qui houspillait toujours son monde.

— Est-ce qu’il y a de l’encre rouge dans vos bureaux ?

— De l’encre rouge ? Pour quoi faire ? Nous ne tenons pas une école…

Mais brusquement comme s’il se rappelait quelque chose :

— Il n’y avait que Fallut à écrire à l’encre rouge, quand il était chez lui, rue d’Étretat… Qu’est-ce que c’est encore cette histoire ?… Attention au wagon, là-bas !… Il ne manquerait plus qu’un accident… Alors, vous, qu’est-ce que vous vouliez avec votre encre rouge ?…

— Rien !… Je vous remercie…

P’tit Louis revenait sans ses bottes mais avec quelques verres dans le nez, une casquette de voyou sur la tête, des savates aux pieds.


3


Le portrait sans tête

— … et qu’on ne pourrait quand même pas dire à moi que j’ai des économies, ce qui vaut bien te traitement d’un capitaine…

Maigret quittait Mme Bernard sur le seuil de sa petite maison de la rue d’Étretat. C’était une femme d’une cinquantaine d’années, fort bien conservée, qui venait de parler une demi-heure durant de son premier mari, de son veuvage, du capitaine qui était devenu son locataire, des bruits qui avaient couru sur leurs relations et enfin d’une inconnue qui était certainement une « femme de mauvaise vie ».

Le commissaire avait visité toute la maison, bien tenue mais pleine de choses de mauvais goût. La chambre du capitaine Fallut était encore telle qu’on l’avait arrangée en prévision de son retour.

Peu d’objets personnels : quelques vêtements dans une malle, quelques livres, surtout des romans d’aventures et des photographies de bateaux.

Tout cela donnait l’impression d’une existence paisible et médiocre.

— …C’était convenu sans être convenu mais chacun savait que nous finirions par nous marier… Moi, j’apportais la maison, les meubles, le linge… Il n’y aurait rien eu de changé et nous aurions été tranquilles, surtout dans trois ou quatre ans, quand il aurait eu sa pension…

Par les fenêtres on apercevait l’épicerie d’en face, la rue en pente, le trottoir où jouaient des gamins.

— C’est cet hiver qu’il a rencontré cette femme et tout a été bouleversé… À son âge !… Est-ce possible de se toquer ainsi d’une créature ?… Et il en a fait des mystères !… Il devait aller la voir au Havre ou ailleurs, car on ne les a jamais rencontrés ensemble… Je sentais qu’il y avait quelque chose sous roche… Il s’achetait du linge plus fin… Et même, une fois, des chaussettes de soie !… Puisqu’il n’y avait rien entre nous, cela ne me regardait pas et je ne voulais pas avoir l’air de défendre mes intérêts…

C’était toute une partie de la vie du mort que cette conversation avec Mme Bernard éclairait. Le petit homme entre deux âges qui rentrait au port après une campagne de pêche et qui, l’hiver, vivait là comme un bon bourgeois, près de Mme Bernard qui le soignait en attendant de se faire épouser !

Il mangeait avec elle, dans la salle à manger, sous le portrait du premier mari aux moustaches blondes. Puis il allait dans sa chambre lire un roman d’aventures.

Et voilà que cette paix était troublée. Une autre femme apparaissait. Le capitaine Fallut allait souvent au Havre, soignait sa tenue, se rasait de plus près, achetait même des chaussettes de soie et se cachait de sa logeuse !

Pourtant il n’était pas marié, il n’avait pris aucun engagement. Il était libre et néanmoins il ne se montrait pas une seule fois à Fécamp avec l’inconnue.

Était-ce la grande passion, la grande aventure qui se présentait sur le tard ? Ou bien quelque liaison honteuse ?

Maigret arrivait sur la plage, apercevait sa femme assise dans un fauteuil transatlantique à rayures rouges et, près d’elle, Marie Léonnec qui cousait.

Quelques baigneurs, sur les galets blancs de soleil. Une mer lasse. Et là-bas, de l’autre côté de la jetée, l’Océan, à quai, la morue en vrac qu’on débarquait toujours et les matelots maussades, aux phrases pleines de réticences.

Il embrassa Mme Maigret au front. Il inclina la tête devant la jeune fille et répondit à son coup d’œil interrogateur :

— Rien de spécial !…

Et sa femme, d’une voix inquiète :

— Mlle Léonnec m’a raconté toute son histoire. Tu crois que ce garçon est capable d’avoir commis un acte pareil ?…

Ils se dirigèrent lentement vers l’hôtel. Maigret portait les deux fauteuils pliants. Ils allaient se mettre à table quand un agent en uniforme arriva, qui cherchait le commissaire.

— On m’a dit de vous montrer ceci. C’est arrivé voilà une heure…

Et il tendait une enveloppe jaune qu’on avait décachetée et qui ne portait aucune adresse. À l’intérieur, une feuille de papier, une petite écriture serrée, minutieuse :


Qu’on n’accuse personne de ma mort et qu’on ne cherche pas à comprendre mon geste.

Ici sont mes dernières volontés. Je lègue ce que je possède à Mme veuve Bernard, qui a toujours été bonne pour moi, à charge pour elle d’envoyer mon chronomètre en or à mon neveu qu’elle connaît et de veiller à ce que je sois enterré au cimetière de Fécamp, près de ma mère…

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