KnigaRead.com/

Simenon, Georges - Le chien jaune

На нашем сайте KnigaRead.com Вы можете абсолютно бесплатно читать книгу онлайн "Simenon, Georges - Le chien jaune". Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год неизвестен.
Перейти на страницу:

— Bonne nuit, mon petit !… lui dit-il.


Quand le commissaire descendit, il se croyait le premier levé, tant le ciel était obscurci par les nuages. De sa fenêtre, il avait aperçu le port désert, où une grue solitaire déchargeait un bateau de sable. Dans les rues, quelques parapluies, des cirés fuyant au ras des maisons.

Au milieu de l’escalier, il croisa un voyageur de commerce qui arrivait et dont un homme de peine portait la malle.

Emma balayait la salle du bas. Sur une table de marbre, il y avait une tasse où stagnait un fond de café.

— C’est mon inspecteur ? questionna Maigret.

— Il y a longtemps qu’il m’a demandé le chemin de la gare pour y porter un gros paquet.

— Le docteur ?…

— Je lui ai monté son petit déjeuner… Il est malade… Il ne veut pas sortir.

Et le balai continuait à soulever la poussière mêlée de sciure de bois.

— Qu’est-ce que vous prenez ?

— Du café noir…

Elle dut passer tout près de lui pour gagner la cuisine.

A ce moment, il lui prit les épaules dans ses grosses pattes, la regarda dans les yeux, d’une façon à la fois bourrue et cordiale.

— Dis donc, Emma…

Elle ne tenta qu’un mouvement timide pour se dégager, resta immobile, tremblante, à se faire aussi petite que possible.

— Entre nous, là, qu’est-ce que tu sais ?… Tais-toi !… Tu vas mentir !… Tu es une pauvre petite fille et je n’ai pas envie de te chercher des misères… Regarde-moi !… La bouteille… Hein ?… Parle, maintenant…

— Je vous jure…

— Pas la peine de jurer…

— Ce n’est pas moi !…

— Je le sais bien, parbleu, que ce n’est pas toi ! Mais qui est-ce ?…

Les paupières se gonflèrent, tout d’un coup. Des larmes jaillirent. La lèvre inférieure se souleva spasmodiquement, et la fille de salle, ainsi, était tellement émouvante, que Maigret cessa de la tenir.

— Le docteur… cette nuit ?…

— Non !… Ce n’était pas pour ce que vous croyez…

— Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Il m’a demandé la même chose que vous… Il m’a menacée… Il voulait que je lui dise qui a touché à la bouteille… Il m’a presque battue… Et je ne sais pas ! Sur la tête de ma mère, je jure que…

— Apporte-moi mon café…

Il était huit heures du matin. Maigret alla acheter du tabac, fit un tour dans la ville. Quand il revint, vers dix heures, le docteur était dans le café, en pantoufles, un foulard passé autour du cou en guise de faux col. Ses traits étaient tirés, ses cheveux roux mal peignés.

— Vous n’avez pas l’air d’être dans votre assiette…

— Je suis malade… Je devais m’y attendre… Ce sont les reins… Dès qu’il m’arrive la moindre chose, une contrariété, une émotion, c’est ainsi que ça se traduit… Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit…

Il ne quittait pas la porte du regard.

— Vous ne rentrez pas chez vous ?

— Il n’y a personne… Je suis mieux soigné ici…

Il avait fait chercher tous les journaux du matin, qui étaient sur sa table.

— Vous n’avez pas vu mes amis ?… Servières ?… Le Pommeret ?… C’est drôle qu’ils ne soient pas venus aux nouvelles…

— Bah ! Sans doute dorment-ils toujours ! soupira Maigret. Au fait ! Je n’ai pas aperçu cet affreux chien jaune… Emma !… Avez-vous revu le chien, vous ?… Non ?… Voici Leroy, qui l’a peut-être rencontré dans la rue… Quoi de neuf, Leroy ?…

— Les flacons et les verres sont expédiés au laboratoire… Je suis passé à la gendarmerie et à la mairie… Vous parliez du chien, je crois ?… Il paraît qu’un paysan l’a vu ce matin dans le jardin de M. Michoux…

— Dans mon jardin ?…

Le docteur s’était levé. Ses mains pâles tremblaient.

— Qu’est-ce qu’il faisait dans mon jardin ?…

— A ce qu’on m’a dit, il était couché sur le seuil de la villa et, quand le paysan s’est approché, il a grogné de telle façon que l’homme a préféré prendre le large…

Maigret observait les visages du coin de l’œil.

— Dites donc, docteur, si nous allions ensemble jusque chez vous ?…

Un sourire contraint :

— Dans cette pluie ?… Avec ma crise ?… Cela me vaudrait au moins huit jours de lit… Qu’importe ce chien !… Un vulgaire chien errant, sans doute…

Maigret mit son chapeau, son manteau.

— Où allez-vous ?…

— Je ne sais pas… Respirer l’air… Vous m’accompagnez, Leroy ?

Quand ils furent dehors, ils purent voir encore la longue tête du docteur que les vitraux déformaient, rendaient plus longue tout en lui donnant une teinte verdâtre.

— Où allons-nous ? questionna l’inspecteur.

Maigret haussa les épaules, erra un quart d’heure durant autour des bassins, en homme qui s’intéresse aux bateaux. Arrivé près de la jetée, il tourna à droite, prit un chemin qu’un écriteau désignait comme la route des Sables Blancs.

— Si on avait analysé les cendres de cigarette trouvées dans le corridor de la maison vide… commença Leroy après un toussotement.

— Que pensez-vous d’Emma ? l’interrompit Maigret.

— Je… je pense… La difficulté, à mon avis, surtout dans un pays comme celui-ci, où tout le monde se connaît, doit être de se procurer une telle quantité de strychnine…

— Je ne vous demande pas cela… Est-ce que, par exemple, vous deviendriez volontiers son amant ?…

Le pauvre inspecteur ne trouva rien à répondre. Et Maigret l’obligea à s’arrêter et à ouvrir son manteau pour lui permettre d’allumer sa pipe à l’abri du vent.


La plage des Sables-Blancs, bordée de quelques villas et, entre autres, d’une somptueuse demeure méritant le nom de château et appartenant au maire de la ville, s’étire entre deux pointes rocheuses, à trois kilomètres de Concarneau.

Maigret et son compagnon pataugèrent dans le sable couvert de goémon, regardèrent à peine les maisons vides, aux volets clos.

Au-delà de la plage, le terrain s’élève. Des roches à pic couronnées de sapins plongent dans la mer.

Un grand panneau :Lotissement des Sables-Blancs. Un plan, avec, en teintes différentes, les parcelles déjà vendues et les parcelles disponibles. Un kiosque en bois : Bureau de vente des terrains.

Enfin la mention : En cas d’absence, s’adresser à M. Ernest Michoux, administrateur.

L’été, tout cela doit être riant, repeint à neuf. Dans la pluie et la boue, dans le tintamarre du ressac, c’était plutôt sinistre.

Au centre, une grande villa neuve, en pierres grises, avec terrasse, pièce d’eau et parterres non encore fleuris.

Plus loin, les ébauches d’autres villas : quelques pans de mur surgissant du sol et dessinant déjà les pièces…

Il manquait des vitres au kiosque. Des tas de sable attendaient d’être étalés sur la nouvelle route, qu’un rouleau compresseur barrait à moitié. Au sommet de la falaise, un hôtel, ou plutôt un futur hôtel, inachevé, aux murs d’un blanc cru, aux fenêtres closes à l’aide de planches et de carton.

Maigret s’avança tranquillement, poussa la barrière donnant accès à la villa du docteur Michoux. Quand il fut sur le seuil et qu’il tendit la main vers le bouton de la porte, l’inspecteur Leroy murmura :

— Nous n’avons pas de mandat !… Ne croyez-vous pas que…

Une fois de plus, son chef haussa les épaules. Dans les allées, on voyait les traces profondes laissées par les pattes du chien jaune. Il y avait d’autres empreintes : celle de pieds énormes, chaussés de souliers à clous. Du quarante-six pour le moins !

Le bouton tourna. La porte s’ouvrit comme par enchantement et l’on put relever sur le tapis les mêmes traces boueuses : celles du chien et des fameux souliers.

La villa, d’une architecture compliquée, était meublée d’une façon prétentieuse. Ce n’était partout que recoins, avec des divans, des bibliothèques basses, des lits clos bretons transformés en vitrines, des petites tables turques ou chinoises. Beaucoup de tapis, de tentures !

La volonté manifeste de réaliser, avec de vieilles choses, un ensemble rustico-moderne.

Quelques paysages bretons. Des nus signés, dédicacés : Au bon ami Michoux… Voire : A l’ami des artistes…

Le commissaire regardait ce bric-à-brac d’un air grognon, tandis que l’inspecteur Leroy n’était pas sans se laisser impressionner par cette fausse distinction.

Et Maigret ouvrait les portes, jetait un coup d’œil dans les chambres. Certaines n’étaient pas meublées. Le plâtre des murs était à peine sec.

Il finit par pousser une porte du pied et il eut un murmure de satisfaction en apercevant la cuisine. Sur la table de bois blanc, il y avait deux bouteilles à bordeaux vides.

Une dizaine de boîtes de conserve avaient été ouvertes grossièrement, avec un couteau quelconque. La table était sale, graisseuse. On avait mangé, à même les boîtes, des harengs au vin blanc, du cassoulet froid, des cèpes et des abricots.

Le sol était maculé. Il y traînait des restes de viande. Une bouteille de fine champagne était cassée et l’odeur d’alcool se mêlait à celle des aliments.

Maigret regarda son compagnon avec un drôle de sourire.

— Vous croyez, Leroy, que c’est le docteur qui a fait ce repas de cochon ?…

Et comme l’autre, sidéré, ne répondait pas :

— Sa maman non plus, je l’espère !… Ni même la domestique !… Tenez !… Vous qui aimez les empreintes… Ce sont plutôt des croûtes de boue, qui dessinent une semelle… Pointure quarante-cinq ou quarante-six… Et les traces du chien !…

Il bourra une nouvelle pipe, prit les allumettes au soufre sur une étagère.

— Relevez-moi tout ce qu’il y a à relever ici dedans !… Ce n’est pas la besogne qui manque… A tout à l’heure !…

Il s’en alla les deux mains dans les poches, le col du pardessus relevé, le long de la plage des Sables-Blancs.

Quand il pénétra à l’Hôtel de l’Amiral, la première personne qu’il aperçut fut, dans son coin, le docteur Michoux, toujours en pantoufles, non rasé, son foulard autour du cou.

Le Pommeret, aussi correct que la veille, était assis à côté de lui, et les deux hommes laissèrent avancer le commissaire sans mot dire.

Ce fut le docteur qui articula enfin d’une voix mal timbrée :

— Vous savez ce qu’on m’annonce ?… Servières a disparu… Sa femme est à moitié folle… Il nous a quittés hier au soir… Depuis lors, on ne l’a pas revu…

Maigret eut un haut-le-corps, non pas à cause de ce qu’on lui disait, mais parce qu’il venait d’apercevoir le chien jaune, couché aux pieds d’Emma.

III


« La peur règne à Concarneau »

Le Pommeret éprouvait le besoin de confirmer, pour le plaisir de s’entendre parler :

— Elle est venue chez moi tout à l’heure en me suppliant de faire des recherches… Servières, qui de son vrai nom s’appelle Goyard, est un vieux camarade…

Du chien jaune, le regard de Maigret passa à la porte qui s’ouvrait, au marchand de journaux qui entrait en coup de vent et enfin à une manchette en caractères gras qu’on pouvait lire de loin : La peur règne à Concarneau.

Des sous-titres disaient ensuite : Un drame chaque jour - Disparition de notre collaborateur Jean Servières. - Des taches de sang dans sa voiture. - A qui le tour ?

Maigret retint par la manche le gamin aux journaux.

— Tu en as vendu beaucoup ?

— Dix fois plus que les autres jours. Nous sommes trois à courir depuis la gare…

Relâché, le gosse reprit sa course le long du quai en criant :

— Le Phare de Brest… Numéro sensationnel…

Le commissaire n’avait pas eu le temps de commencer l’article qu’Emma annonçait :

— On vous demande au téléphone…

Une voix furieuse, celle du maire :

— Allô ! c’est vous, commissaire, qui avez inspiré cet article stupide ?… Et je ne suis même pas au courant !… J’entends, n’est-ce pas, être informé le premier de ce qui se passe dans la ville dont je suis le maître !… Quelle est cette histoire d’auto ?… Et cet homme aux grands pieds ?… Depuis une demi-heure, j’ai reçu plus de vingt coups de téléphone de gens affolés qui me demandent si ces nouvelles sont exactes… Je vous répète que je veux que, désormais…

Maigret, sans broncher, raccrocha, rentra dans le café, s’assit et commença à lire. Michoux et Le Pommeret parcouraient des yeux un même journal posé sur le marbre de la table.

« Notre excellent collaborateur Jean Servières a raconté ici même les événements dont Concarneau a été récemment le théâtre. C’était vendredi. Un honorable négociant de la ville, M. Mostaguen, sortait de l’Hôtel de l’Amiral, s’arrêtait sur un seuil pour allumer un cigare et recevait dans le ventre une balle tirée à travers la boîte aux lettres de la maison, une maison inhabitée.

Samedi, le commissaire Maigret, récemment détaché de Paris et placé à la tête de la Brigade mobile de Rennes, arrivait sur les lieux, ce qui n’empêchait pas un nouveau drame de se produire.

Le soir, en effet, un coup de téléphone nous annonçait qu’au moment de prendre l’apéritif, trois notables de la ville, MM. Le Pommeret, Jean Servières et le docteur Michoux, à qui s’étaient joints les enquêteurs, s’apercevaient que le pernod qui leur était servi contenait une forte dose de strychnine.

Or, ce dimanche matin, l’auto de Jean Servières a été retrouvée près de la rivière Saint-Jacques sans son propriétaire, qui, depuis samedi soir, n’a pas été vu.

Le siège avant est maculé de sang. Une glace est brisée et tout laisse supposer qu’il y a eu lutte.

Trois jours : trois drames ! On conçoit que la terreur commence à régner à Concarneau, dont les habitants se demandent avec angoisse qui sera la nouvelle victime.

Le trouble est particulièrement jeté dans la population par la mystérieuse présence d’un chien jaune que nul ne connaît, qui semble n’avoir pas de maître et que l’on rencontre à chaque nouveau malheur.

Ce chien n’a-t-il pas déjà conduit la police vers une piste sérieuse ? Et ne recherche-t-on pas un individu qui n’a pas été identifié mais qui a laissé à divers endroits des traces curieuses, celles de pieds beaucoup plus grands que la moyenne ?

Un fou ?… Un rôdeur ?… Est-il l’auteur de tous ces méfaits ?… A qui va-t-il s’attaquer ce soir ?…

Sans doute rencontrera-t-il à qui parler, car les habitants effrayés prendront la précaution de s’armer et de tirer sur lui à la moindre alerte.

En attendant, ce dimanche, la ville est comme morte et l’atmosphère rappelle les villes du Nord quand, pendant la guerre, on annonçait un bombardement aérien. »

Maigret regardait à travers les vitres. Il ne pleuvait plus, mais les rues étaient pleines de boue noire et le vent continuait à souffler avec violence. Le ciel était d’un gris livide.

Перейти на страницу:
Прокомментировать
Подтвердите что вы не робот:*