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Simenon, Georges - Maigret

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La Chope-du-Pont-Neuf vivait son heure bruyante : celle de l’apéritif du soir. Toutes les tables étaient occupées. La fumée montait des pipes et des cigarettes. De temps en temps, un nouveau venu saluait Maigret de loin.

Philippe n’osait regarder personne, pas même son compagnon.

— Je suis désolé, mon oncle.

— Que s’est-il encore passé ?

— On croyait, bien entendu, que le Floria allait fermer ses portes, au moins pour quelques jours. Il n’en est rien. Il y a eu aujourd’hui une série de coups de téléphone, d’interventions mystérieuses. Il paraît que le Floria a été vendu il y a deux jours, et que Pepito n’en était plus le propriétaire. L’acquéreur a fait jouer je ne sais quelles influences et, ce soir, le cabaret ouvrira comme d’habitude.

Maigret avait froncé les sourcils. Était-ce à cause de ce qu’il venait d’entendre ou parce que le commissaire Amadieu, accompagné d’un collègue, entrait et s’installait à l’autre bout de la salle ?

— Godet ! appela soudain Maigret à voix haute.

Godet était un inspecteur de la Mondaine qui jouait aux cartes trois tables plus loin. Il se retourna, ses cartes à la main, hésita.

— Quand tu auras fini ta partie !

Et l’ancien commissaire froissait tous ses bouts de papier, les jetait par terre. Il but sa bière d’un trait, s’essuya les lèvres en regardant dans la direction d’Amadieu.

Celui-ci avait entendu. Il observait la scène de loin, tout en versant de l’eau dans son pernod. Godet s’avança enfin, intrigué.

— Vous voulez me parler, monsieur le commissaire ?

— Bonjour, vieux ! fit Maigret en lui serrant la main. Un simple renseignement. Tu es toujours à la Brigade mondaine ? Bon ! Tu peux me dire si, ce matin, on n’a pas aperçu Cageot dans les bureaux ?

— Attendez. Je crois qu’il est venu, vers onze heures.

— Merci, vieux.

C’était tout ! Maigret regardait Amadieu. Amadieu regardait Maigret. Et maintenant c’était Amadieu qui était mal à l’aise ; c’était Maigret qui réprimait un sourire.

Philippe n’osait pas intervenir. L’affaire venait de monter d’un cran. Le jeu se jouait hors de sa portée, et il n’en connaissait même pas les règles.

— Godet ! appela une voix.

Cette fois, tous ceux qui, dans la salle, appartenaient à la « maison », tressaillirent en regardant l’inspecteur qui se levait à nouveau, ses cartes à la main, et qui se dirigeait vers le commissaire Amadieu.

Il n’y avait pas besoin d’entendre les paroles prononcées. C’était clair. Amadieu disait :

— Qu’est-ce qu’il t’a demandé ?

— Si j’ai vu Cageot ce matin.

Maigret allumait sa pipe, laissait l’allumette brûler jusqu’à la dernière extrémité, se levait enfin en appelant :

— Garçon !

Dressé de toute sa taille, il attendait la monnaie en regardant mollement autour de lui.

— Où allons-nous ? questionna Philippe quand ils furent dehors.

Maigret se tourna vers lui, comme étonné de le trouver là.

— Toi, tu vas te coucher, dit-il.

— Et vous, mon oncle ?

Maigret haussa les épaules, enfonça ses mains dans les poches et s’éloigna sans répondre. Il venait de passer une des plus sales journées de sa vie. Des heures durant, dans son coin, il s’était senti vieux et mou, sans ressort, sans idée.

Le décalage s’était produit. Une petite flamme avait jailli. Mais il fallait en profiter tout de suite.

— On verra bien, nom de Dieu ! grogna-t-il pour achever de se donner confiance.

Les autres jours, à cette heure-là, il lisait son journal, sous la lampe, les jambes allongées vers les bûches.


— Vous venez souvent à Paris ?

Maigret, accoudé au bar du Floria, hocha la tête et se contenta de répondre :

— Heu ! de temps en temps…

Sa bonne humeur était revenue, une bonne humeur qui ne se traduisait pas par des sourires, mais par un bien-être intérieur. C’était une faculté qu’il possédait de s’amuser tout seul en dedans, sans rien perdre de sa gravité apparente. Une femme était assise à côté de lui. Elle lui avait demandé de lui offrir un verre, et il avait fait un signe d’assentiment.

Jamais, deux ans auparavant, une professionnelle ne s’y serait trompée. Son pardessus à col de velours, son complet noir en serge inusable, sa cravate toute faite ne voulaient rien dire. Si elle le prenait pour un provincial en bombe, c’est qu’il avait changé.

— Il s’est bien passé quelque chose ici, n’est-ce pas ? murmura-t-il.

— On a descendu le patron, la nuit dernière.

Elle se trompait aussi à son regard, qu’elle croyait émoustillé. C’était tellement plus complexe que cela ! Maigret retrouvait un monde longtemps quitté. Cette petite femme quelconque, il la connaissait sans la connaître. Il était sûr qu’elle n’était pas régulièrement inscrite sur les registres de la Préfecture et que, sur son passeport, il y avait la mention artiste ou danseuse. Quant au barman chinois qui les servait, Maigret aurait pu lui réciter sa fiche anthropométrique. La tenancière du vestiaire, elle, ne s’y était pas trompée, et elle l’avait salué avec inquiétude, en cherchant dans ses souvenirs.

Parmi les garçons, il y en avait au moins deux que Maigret avait convoqués jadis à son bureau pour des affaires du même genre que la mort de Pepito.

Il avait commandé une fine à l’eau. Il observait vaguement la salle et d’instinct, comme sur le papier, son regard mettait les croix à leur place. Des clients qui avaient lu les journaux s’informaient, et les garçons les renseignaient, montraient l’endroit, après la cinquième table, où l’on avait trouvé le cadavre.

— Vous ne voulez pas que nous prenions une bouteille de champagne ?

— Non, mon petit.

La femme faillit deviner, fut tout au moins intriguée, tandis que Maigret suivait des yeux le nouveau patron, un jeune homme aux cheveux blonds qu’il avait connu gérant d’un dancing de Montparnasse.

— Vous me reconduirez chez moi ?

— Mais oui ! Tout à l’heure.

En attendant, il se rendit aux lavabos, devina la place où Philippe s’était caché. Au fond de la salle, il entrevit le bureau, dont la porte était à demi ouverte. Mais c’était sans intérêt. Le décor, il le connaissait avant de remettre les pieds rue Fontaine. Les acteurs aussi. Il pouvait, en faisant le tour de la salle, désigner chaque personne en disant :

« À cette table, ce sont des jeunes mariés du Midi qui font la bombe. Ce bonhomme déjà ivre est un Allemand qui finira la nuit sans son portefeuille. Plus loin, le danseur mondain a un casier judiciaire et des sachets de cocaïne dans ses poches. Il est de mèche avec le maître d’hôtel, qui a fait trois ans de prison. La brune grassouillette a passé dix ans au Maxim’s et finit sa carrière à Montmartre… »

Il revint au bar.

— Je peux prendre un autre cocktail ? demanda la femme à qui il avait déjà offert une consommation.

— Comment t’appelle-t-on ?

— Fernande.

— Qu’est-ce que tu as fait, hier au soir ?

— J’étais avec trois jeunes gens, des garçons de bonne famille qui voulaient prendre de l’éther. Ils m’ont emmenée dans un hôtel de la rue Notre-Dame-de-Lorette…

Maigret ne sourit pas, mais il eût pu continuer le récit.

— On était d’abord entrés chacun à son tour à la pharmacie de la rue Montmartre, et chacun avait acheté un petit flacon d’éther. Je ne savais pas au juste comment ça allait se passer. On s’est déshabillés. Mais ils ne m’ont même pas regardée. On s’est couchés tous les quatre sur le lit. Quand ils ont eu respiré l’éther, il y en a un qui s’est levé en disant avec une drôle de voix :

« — Oh ! mais il y a des anges sur l’armoire… Comme ils sont gentils !… Je vais les attraper…

« Il a voulu se lever et il est tombé sur la carpette. Moi, l’odeur me faisait tourner le cœur. Je leur ai demandé si c’était tout ce qu’ils me voulaient et je me suis rhabillée. Il a quand même fallu que je rigole. Entre deux têtes, sur l’oreiller, il y avait une punaise. Et j’entends encore la voix d’un des types qui disait comme en rêve :

« — J’ai une punaise devant mon nez !

« — Moi aussi ! soupira l’autre.

« Et ils ne bougeaient pas. Ils louchaient tous les deux.

Elle avala son cocktail d’un trait, décréta :

— Des piqués !

Elle commençait pourtant à s’inquiéter.

— Tu me gardes pour la nuit, dis ?

— Mais oui ! Mais oui ! répliqua Maigret.

Un rideau séparait le bar de l’entrée où se trouvait le vestiaire. De sa place, Maigret pouvait voir, par la fente du rideau. Soudain il descendit de son tabouret et fit quelques pas. Un homme venait d’arriver, qui avait murmuré à l’adresse de la préposée au vestiaire :

— Rien de nouveau ?

— Bonjour, monsieur Cageot !

C’était Maigret qui parlait, les mains dans les poches de son veston, la pipe à la bouche. Son interlocuteur, qui lui tournait le dos, fit lentement demi-tour, le regarda des pieds à la tête, grommela :

— Vous êtes là, vous !

Ils avaient derrière eux un rideau rouge et de la musique, devant la porte ouverte sur la rue froide où déambulait le portier. Le nommé Cageot hésitait à retirer son pardessus.

Fernande, qui n’était pas rassurée, montra le bout du nez, mais se retira aussitôt.

— Vous prenez une bouteille ?

Cageot avait enfin pris une décision et remettait son manteau au vestiaire, tout en observant Maigret.

— Si vous voulez, accepta celui-ci.

Le maître d’hôtel se précipita pour les conduire à une table libre. Sans regarder la carte des vins, le nouveau venu grogna :

— Mumm 26 !

Il n’était pas en tenue de soirée mais portait un complet gris sombre aussi mal coupé que celui de Maigret. Il n’était même pas rasé de frais et ses joues étaient envahies d’une barbe grisâtre.

— Je vous croyais à la retraite ?

— Moi aussi !

Cela ne voulait rien dire en apparence, et pourtant Cageot fronça les sourcils, fit un geste pour appeler la jeune fille chargée des cigares et des cigarettes. Au bar, Fernande ouvrait de grands yeux. Quant au jeune Albert, qui jouait le rôle de patron de la boîte, il se demandait s’il devait ou non s’avancer.

— Un cigare ?

— Merci, dit Maigret en débourrant sa pipe.

— Vous êtes à Paris pour longtemps ?

— Jusqu’à ce que l’assassin de Pepito soit en prison.

Ils n’élevaient pas la voix. À côté d’eux, des gens en smoking s’amusaient à se lancer des balles de coton et des serpentins. Le saxophoniste promenait gravement son instrument entre les tables.

— Ils vous ont rappelé pour cette affaire-là ?

Germain Cageot avait un long visage terne, des sourcils broussailleux d’un gris de moisissure. C’était le dernier homme qu’on se fût attendu à rencontrer dans un endroit où l’on s’amuse. Il parlait lentement, froidement, épiait l’effet de chaque mot.

— Je suis venu sans être appelé.

— Vous travaillez pour votre compte ?

— Vous l’avez dit.

Cela n’avait l’air de rien. Fernande elle-même devait penser que c’était par le plus grand des hasards que son compagnon connaissait Cageot.

— Depuis quand avez-vous acheté la boîte ?

— Le Floria ? Vous faites erreur. C’est à Albert.

— Comme c’était à Pepito.

Cageot ne nia pas, se contenta d’un sourire sans gaieté et arrêta le geste du garçon qui voulait lui servir du champagne.

— Et à part ça ? questionna-t-il du ton de quelqu’un qui cherche un sujet de conversation.

— Quel est votre alibi ?

Il y eut un nouveau sourire, plus neutre encore, et Cageot récita sans broncher :

— Je me suis couché à neuf heures du soir. J’avais un peu de grippe. La concierge, qui me sert de femme de ménage, m’a monté un grog et me l’a servi au lit.

Ils ne faisaient attention ni l’un ni l’autre au vacarme qui les enveloppait comme un mur. Ils y étaient habitués. Maigret fumait sa pipe, l’autre un cigare.

— Toujours à l’eau de Pougues ? questionna l’ancien commissaire comme son interlocuteur lui versait du champagne.

— Toujours.

Ils étaient face à face comme des augures, graves, un peu renfrognés, et une petite femme, qui ne savait pas, essayait, d’une table voisine, de leur lancer des balles de coton sur le nez.

— Vous avez eu tôt fait d’obtenir la réouverture ! remarqua Maigret entre deux bouffées de fumée.

— Je suis toujours assez bien dans la « maison ».

— Vous savez qu’il y a un gamin qui s’est bêtement compromis dans l’affaire ?

— J’ai lu quelque chose comme ça dans les journaux. Un petit policier qui était caché dans les lavabos et qui, pris de frousse, a tué Pepito.

Le jazz enchaînait. Un Anglais, d’autant plus raide qu’il était ivre, passa près de Maigret en murmurant :

— Pardon.

— Je vous en prie.

Et Fernande, du bar, le regardait avec des yeux inquiets. Maigret lui sourit.

— Les jeunes policiers sont imprudents, soupira Cageot.

— C’est ce que j’ai dit à mon neveu.

— Votre neveu s’intéresse à ces questions ?

— C’est justement le gamin qui était caché dans les lavabos.

Cageot ne pouvait pas pâlir, car il avait toujours le teint crayeux. Mais il s’empressa de boire une gorgée d’eau minérale, puis de s’essuyer la bouche.

— Tant pis, n’est-ce pas ?

— C’est bien ce que je lui ai dit.

Fernande, du menton, montra l’horloge qui marquait une heure et demie. Maigret lui fit signe qu’il arrivait.

— À votre santé, dit Cageot.

— À la vôtre.

— C’est gentil, chez vous, à la campagne ? Car on m’a dit que vous étiez à la campagne.

— C’est gentil, oui.

— À Paris, l’hiver est malsain.

— J’ai pensé la même chose en apprenant la mort de Pepito.

— Laissez ça, je vous prie, protesta Cageot, comme son compagnon ouvrait son portefeuille.

Maigret n’en mit pas moins cinquante francs sur la table, et, debout, laissa tomber :

— À bientôt !

Il ne fit que passer devant le bar, souffla à Fernande :

— Viens.

— Tu as payé ?

Dans la rue, elle hésitait à lui prendre le bras. Il avait comme toujours les mains dans les poches et il marchait à grands pas lents.

— Tu connais Cageot ? questionna-t-elle enfin, après avoir buté sur le tu.

— Il est de mon pays.

— Tu sais ! Faut te méfier. C’est un type pas régulier. Je te dis ça parce que tu as l’air d’un brave homme.

— Tu as couché avec lui ?

Alors Fernande, qui faisait deux pas pour un pas de l’homme, de répliquer aussi simplement :

— Il ne couche pas !

Mme Maigret dormait, à Meung, dans la maison qui sentait le bois brûlé et le lait de chèvre. Philippe avait fini par s’endormir aussi, dans sa chambre d’hôtel de la rue des Dames, près de la table de nuit où il avait posé ses lunettes.

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