KnigaRead.com/

Simenon, Georges - Lombre chinoise

На нашем сайте KnigaRead.com Вы можете абсолютно бесплатно читать книгу онлайн Simenon, "Lombre chinoise" бесплатно, без регистрации.
Перейти на страницу:

Nine, qui avait tiré un tout petit mouchoir de son sac, reniflait et se tamponnait les narines.

L’instant d’après, l’atmosphère changeait. Freins d’autos dehors. Pas et voix dans la cour. Puis des poignées de main, des questions, des colloques bruyants. Le Parquet était arrivé. Le médecin légiste examinait le cadavre et les photographes installaient leurs appareils.

Pour Maigret, c’était un moment désagréable à passer. Après les quelques phrases indispensables, il gagna la cour, les mains dans les poches, alluma sa pipe, se heurta à quelqu’un, dans l’ombre. C’était la concierge, qui ne pouvait se résigner à laisser des inconnus circuler dans sa maison sans s’inquiéter de leurs faits et gestes.

« Comment vous appelle-t-on ? lui demanda Maigret, avec bienveillance.

— Mme Bourcier… Ces messieurs vont rester longtemps ?… Regardez ! Il n’y a plus de lumière dans la chambre de Mme de Saint-Marc. Elle a dû s’endormir, la pauvre… »

En examinant la maison, le commissaire aperçut une autre lumière, un rideau crème et, derrière, une silhouette de femme. Elle était petite et maigre, comme la concierge. On n’entendait pas sa voix. Mais ce n’était pas nécessaire pour deviner qu’elle était en proie à la colère. Tantôt elle restait rigoureusement immobile, à fixer quelqu’un qu’on ne voyait pas. Puis soudain elle parlait, gesticulait, faisait quelques pas en avant.

« Qui est-ce ?

— Mme Martin… Vous avez vu rentrer son mari tout à l’heure… Vous savez, celui qui a remonté sa boîte à ordures… Le fonctionnaire de l’Enregistrement…

— Ils ont l’habitude de se disputer ?

— Ils ne se disputent pas… Il n’y a qu’elle à crier… Lui n’ose même pas ouvrir la bouche… »

De temps en temps, Maigret jetait un coup d’œil dans le bureau où ils étaient une dizaine à s’agiter. Le juge d’instruction, du seuil, appela la concierge.

« Qui est, après M. Couchet, le dirigeant de l’affaire ?

— Le directeur, M. Philippe. Il n’habite pas loin : dans l’île Saint-Louis…

— Il a le téléphone ?

— Sûrement… »

On entendit parler à l’appareil. Là-haut, Mme Martin ne se découpait plus sur le rideau. Par contre, un être falot descendait l’escalier, traversait la cour à pas furtifs et gagnait la rue. Maigret avait reconnu le chapeau melon et le pardessus mastic de M. Martin.

Il était minuit. Les jeunes filles au phonographe éteignirent leur lumière. Il ne restait plus d’éclairé, outre les bureaux, que le salon des Saint-Marc, au premier, où l’ancien ambassadeur et la sage-femme conversaient à mi-voix dans une fade odeur de clinique.



Malgré l’heure, M. Philippe, lorsqu’il arriva, était tiré à quatre épingles, la barbe brune bien lissée, les mains gantées de suède gris. C’était un homme d’une quarantaine d’années, le type même de l’intellectuel sérieux et bien élevé.

Certes, la nouvelle l’étonna, le bouleversa même. Mais, dans son émotion, il y avait comme une restriction.

« Avec la vie qu’il menait… soupira-t-il.

— Quelle vie ?

— Je ne dirai jamais de mal de M. Couchet. D’ailleurs, il n’y a pas de mal à en dire. Il était le maître de son temps…

— Un instant ! Est-ce que M. Couchet dirigeait son affaire lui-même ?

— Ni de près ni de loin. C’est lui qui l’a lancée. Mais, une fois en train, il m’a laissé toutes les responsabilités. Au point que j’étais parfois quinze jours sans le voir. Tenez ! Aujourd’hui même, je l’ai attendu jusqu’à cinq heures. C’est veille d’échéance. M. Couchet devait m’apporter les fonds nécessaires aux paiements de demain. Environ trois cent mille francs. À cinq heures, j’ai été forcé de partir et je lui ai laissé un rapport sur le bureau. »

On l’y trouva, tapé à la machine, sous la main du mort. Un rapport banal : proposition d’augmentation d’un employé et de suppression d’un des livreurs ; projet de publicité dans les pays d’Amérique latine, etc.

« Si bien que les trois cent mille francs devraient être ici ? questionna Maigret.

— Dans le coffre. La preuve, c’est que M. Couchet l’a ouvert. Nous sommes deux, lui et moi, à avoir la clef et le secret… »

Mais, pour ouvrir le coffre, il fallait enlever le corps et on attendit que la tâche des photographes fût terminée. Le médecin légiste faisait son rapport verbal. Couchet avait été atteint d’une balle dans la poitrine et l’aorte ayant été sectionnée, la mort avait été foudroyante. La distance entre l’assassin et sa victime pouvait être évaluée à trois mètres. Enfin, la balle était du calibre le plus courant : 6,35 mm.

M. Philippe donnait quelques explications au juge.

« Nous n’avons, place des Vosges, que nos laboratoires, qui se trouvent derrière ce bureau… »

Il ouvrit une porte. On aperçut une grande salle au toit vitré où étaient rangées des milliers d’éprouvettes. Derrière une autre porte, Maigret crut entendre du bruit.

« Qu’est-ce qu’il y a là ?

— Les cobayes… Et, à droite, ce sont les bureaux des dactylos et des employés… Nous avons d’autres locaux à Pantin, d’où se font la plupart des expéditions, car vous savez sans doute que les sérums du docteur Rivière sont connus dans le monde entier… »

— C’est Couchet qui les a lancés ?

— Oui ! Le docteur Rivière n’avait pas d’argent. Couchet a financé ses recherches. Il y a une dizaine d’années, il a monté un laboratoire qui n’avait pas encore l’importance de celui-ci…

— Le docteur Rivière est toujours dans l’affaire ?

— Il est mort voilà cinq ans, au cours d’un accident d’auto. »

On emportait enfin le corps de Couchet et, dès que l’on ouvrit la porte du coffre-fort, il y eut des exclamations : tout l’argent qu’il contenait avait disparu. Il ne restait que des papiers d’affaires. M. Philippe expliquait :

« Non seulement les trois cent mille francs que M. Couchet a certainement apportés, mais encore soixante mille francs qui ont été encaissés cet après-midi et que j’avais placés moi-même dans ce casier, entourés d’un élastique ! »

Dans le portefeuille du mort, rien ! Ou plutôt deux billets numérotés pour un théâtre de la Madeleine, dont la vue déclencha les sanglots de Nine.

« C’était pour nous !… Nous devions y aller ensemble… »

C’était la fin. Le désordre s’était accru. Les photographes repliaient les pieds encombrants des appareils… Le médecin légiste se lavait les mains à une fontaine qu’il avait découverte dans un placard et le greffier du juge d’instruction manifestait sa fatigue.

Pendant quelques instants, pourtant, Maigret, malgré toute cette agitation, eut une sorte de tête-à-tête avec le mort.

Un homme vigoureux, plutôt petit, grassouillet. Comme Nine, il ne s’était sans doute jamais débarrassé d’une certaine vulgarité, en dépit de ses vêtements bien coupés, de ses ongles manucurés, du linge de soie fait sur mesure.

Ses cheveux blonds devenaient rares. Ses yeux devaient être bleus et avoir une expression un peu enfantine.

« Un chic type ! » soupira une voix derrière lui.

C’était Nine, qui pleurait d’attendrissement et qui prenait Maigret à témoin, faute d’oser s’adresser aux gens plus solennels du Parquet.

« Je vous jure que c’était un chic type ! Dès qu’il croyait que quelque chose pourrait me faire plaisir… Et pas seulement à moi !… À n’importe qui !… Je n’ai jamais vu un homme donner des pourboires comme lui… Au point que je le grondais… Je lui disais qu’on le considérait comme une poire… Alors il répondait :

« — Qu’est-ce que ça peut faire ?… »

Le commissaire demanda gravement :

« Il était gai ?

— Plutôt gai… Mais pas gai dans le fond… Vous comprenez ?… C’est difficile à expliquer… Il avait besoin de bouger, de faire quelque chose… S’il restait tranquille, il devenait sombre ou inquiet…

— Sa femme ?…

— Je l’ai vue une fois, de loin… Je n’ai pas de mal à dire d’elle…

— Où habitait Couchet ?

— Boulevard Haussmann. Mais, la plupart du temps, il allait à Meulan, où il a une villa… »

Maigret tourna vivement la tête, vit la concierge qui n’osait pas entrer et qui lui adressait des signes en montrant un visage plus malheureux que jamais.

« Dites !… Il descend…

— Qui ?

— M. de Saint-Marc… Il a dû entendre tout le bruit… Le voici… Un jour comme celui-ci !… Pensez… »

L’ancien ambassadeur, en robe de chambre, hésitait à s’avancer. Il avait reconnu une descente de Parquet. D’ailleurs le corps, sur la civière, passa près de lui.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il à Maigret.

— Un homme qu’on a tué… Couchet, le propriétaire des sérums… »

Le commissaire eut l’impression que son interlocuteur était soudain frappé par une pensée, comme s’il se fût souvenu de quelque chose.

« Vous le connaissiez ?

— Non… C’est-à-dire que j’ai entendu parler de lui…

— Et ?…

— Rien ! Je ne sais rien… À quelle heure… le…

— Le crime a dû être commis entre huit et neuf heures… »

M. de Saint-Marc soupira, lissa ses cheveux argentés, adressa un signe de tête à Maigret et se dirigea vers l’escalier conduisant à son appartement.

La concierge s’était tenue à l’écart. Puis elle avait rejoint quelqu’un qui allait et venait penché en avant, sous la voûte. Quand elle revint vers le commissaire, celui-ci la questionna.

« Qui est-ce ?

— M. Martin… Il est en train de chercher un gant qu’il a perdu… Il faut vous dire qu’il ne sort jamais sans gants, même pour aller acheter des cigarettes à cinquante mètres d’ici. »

M. Martin, maintenant, tournait autour des poubelles, allumait quelques tisons, se résignait enfin à remonter chez lui.

Des gens se serraient la main, dans la cour. Le Parquet s’en allait. Le juge d’instruction eut un court entretien avec Maigret.

« Je vous laisse travailler… Naturellement, vous me tiendrez au courant… »

M. Philippe, toujours correct comme une gravure de mode, s’inclinait devant le commissaire.

« Vous n’avez plus besoin de moi ?

— Je vous verrai demain… Je suppose que vous serez à votre bureau ?…

— Comme d’habitude… À neuf heures précises… »

Il y eut soudain une minute émouvante, sans pourtant qu’elle fût marquée par le moindre événement. La cour était toujours plongée dans l’ombre. Une seule lampe. Puis la voûte avec son ampoule poussiéreuse.

Dehors, les autos qui embrayaient, glissaient sur l’asphalte, éclairaient un instant les arbres de la place des Vosges de leurs phares.

Le mort n’était plus là. Le bureau semblait avoir été mis à sac. Personne n’avait pensé à éteindre les lumières et le laboratoire était éclairé comme pour un travail de nuit intensif.

Et voilà qu’ils se retrouvaient à trois, au milieu de la cour, trois êtres dissemblables, qui ne se connaissaient pas une heure plus tôt et que, pourtant, de mystérieuses affinités semblaient réunir.

Mieux encore : ils étaient comme les membres de la famille qui restent seuls, après un enterrement, quand les indifférents sont partis !

Ce n’était qu’une impression fugitive de Maigret, tandis qu’il regardait tour à tour le visage chiffonné de Nine, les traits tirés de la concierge.

« Vous avez mis vos enfants au lit ?

— Oui… Mais ils ne dorment pas… Ils sont inquiets… On dirait qu’ils sentent… »

Mme Bourcier avait une question à poser, une question dont elle avait presque honte mais qui, pour elle, était capitale.

« Est-ce que vous croyez… »

Son regard fit le tour de la cour, sembla s’arrêter à toutes les fenêtres éteintes.

« … que… que c’est quelqu’un de la maison ? »

Et maintenant c’était la voûte qu’elle fixait, ce large porche à la porte toujours ouverte, sauf après onze heures du soir, qui faisait communiquer la cour avec la rue, qui permettait l’accès de l’immeuble à tout l’inconnu du dehors.

Nine, elle, avait une pose contrainte, et de temps en temps elle lançait un regard furtif au commissaire.

« L’enquête répondra sans doute à votre question, madame Bourcier… Pour l’instant, une seule chose paraît certaine ; c’est que celui qui a volé les trois cent soixante mille francs n’est pas le même que celui qui a tué… Du moins est-ce probable, puisque M. Couchet fermait le coffre-fort de son dos… À propos, y avait-il ce soir de la lumière dans le laboratoire ?

— Attendez !… Oui, je crois… Mais pas tant que maintenant… M. Couchet devait avoir allumé une lampe ou deux pour aller aux lavabos, qui sont tout au fond des locaux… »

Maigret se dérangea pour tout éteindre, tandis que la concierge restait sur le seuil, bien que le corps ne fût plus là. Dans la cour, le commissaire retrouva Nine qui l’attendait. Il entendit du bruit quelque part au-dessus de sa tête, le bruit d’un objet qui frôle une vitre.

Mais toutes les fenêtres étaient closes, toutes les lampes éteintes.

Quelqu’un avait bougé, quelqu’un veillait dans l’ombre d’une chambre.

« À demain, madame Bourcier… Je serai ici avant l’ouverture des bureaux…

— Je vous suis ! Il faut que je ferme la porte cochère. »

Nine, au bord du trottoir, remarquait :

« Je croyais que vous aviez une voiture. »

Elle ne se décidait pas à le quitter. En regardant par terre, elle ajouta : « De quel côté habitez-vous ?

— À deux pas d’ici, boulevard Richard-Lenoir.

— Il n’y a plus de métro, n’est-ce pas ?

— Je ne pense pas.

— Je voudrais vous avouer quelque chose…

— J’écoute. »

Elle n’osait toujours pas le regarder. Derrière eux, on entendait les verrous tirés par la concierge, puis les pas de celle-ci, qui regagnait sa loge. Il n’y avait pas une âme sur la place. Les fontaines chantaient. L’horloge de la mairie sonna une heure.

« Vous allez trouver que j’abuse… Je ne sais pas ce que vous penserez… Je vous ai dit que Raymond était très généreux… Il ne connaissait pas la valeur de l’argent… Il me donnait tout ce que je voulais… Vous comprenez ?…

— Et ?…

— C’est ridicule… Je demandais le moins possible… J’attendais qu’il y pense… D’ailleurs, puisqu’il était presque toujours avec moi, je n’avais besoin de rien… Aujourd’hui, je devais dîner avec lui… Eh bien !…

— Fauchée ?

— Ce n’est même pas cela ! protesta-t-elle. C’est plus stupide ! Je pensais lui demander de l’argent ce soir. J’ai payé à midi une facture… »

Elle était à la torture. Elle épiait Maigret, prête à se replier au moindre sourire.

« Je n’ai jamais imaginé qu’il ne viendrait pas… J’avais encore un peu d’argent dans mon sac… En l’attendant, au Select, j’ai mangé des huîtres, puis de la langouste… J’ai téléphoné… C’est en arrivant ici que je me suis aperçue qu’il me restait juste de quoi payer mon taxi…

Перейти на страницу:
Прокомментировать
Подтвердите что вы не робот:*