KnigaRead.com/

Simenon, Georges - Liberty Bar

На нашем сайте KnigaRead.com Вы можете абсолютно бесплатно читать книгу онлайн "Simenon, Georges - Liberty Bar". Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год неизвестен.
Перейти на страницу:

Le docteur, en attendant de monter à son tour, regardait autour de lui avec curiosité, pendant que Jaja gémissait doucement, comme un animal inconscient. Un gémissement si faible, si étrangement modulé que, bien qu’il emplît le logement, on ne pouvait en repérer la provenance, comme il arrive pour la voix émise par les ventriloques.

Dans la chambre basse de l’entresol, Maigret préparait le lit, puis donnait un coup de main aux agents pour soulever davantage Jaja, qui était lourde, inerte, et qui pourtant avait l’air d’une grosse poupée de son.

Est-ce qu’elle se rendait compte de ses pérégrinations ? Savait-elle où elle était ? De temps en temps elle ouvrait les yeux, mais elle ne regardait rien, ni personne.

Elle gémissait toujours, sans une crispation des traits.

— Elle souffre beaucoup ? demanda Maigret au docteur.

C’était un petit vieillard bien gentil, méticuleux, effaré de se trouver dans un tel décor.

— Elle ne doit pas souffrir du tout. Je suppose qu’elle est douillette. Ou c’est la peur…

— Elle a conscience de ce qui se passe ?

— À la voir, on ne le croirait pas. Et pourtant…

— Elle est ivre morte ! soupira Maigret. Je me demandais seulement si la douleur l’avait dégrisée…

Les deux agents attendaient des instructions et regardaient eux aussi autour d’eux avec curiosité. Les rideaux n’étaient pas fermés. Maigret aperçut, derrière la fenêtre d’en face, le halo plus pâle d’un visage dans une chambre sans lumière. Il baissa le store, attira un agent dans un coin.

— Vous allez m’amener la femme que j’ai fait mettre sous clé tout à l’heure. Une certaine Sylvie. Mais pas l’homme !

Et, à l’autre :

— Attendez-moi en bas.

Le docteur avait fait tout ce qu’il avait à faire. Après avoir placé des pinces hémostatiques, il avait remis l’artère en place avec des agrafes. Maintenant il regardait d’un air ennuyé cette grosse femme qui geignait toujours. Par contenance, il lui prenait le pouls, lui tâtait le front, les mains.

— Venez par ici, docteur ! dit Maigret, qui était adossé à un angle de la pièce.

Et, tout bas :

— Je voudrais que vous profitiez de son immobilité pour faire une auscultation générale… Les organes essentiels, bien entendu…

— Si vous voulez ! Si vous voulez !

Il était de plus en plus ahuri, le petit docteur, et il devait se demander si Maigret était un parent de Jaja. Il choisit des appareils dans sa trousse et, sans se presser, mais sans conviction, il commença à prendre la tension artérielle.

Mécontent, il le fit trois fois, se pencha sur la poitrine, écarta le peignoir et chercha une serviette propre pour l’étendre entre son oreille et le sein de Jaja. Il n’y en avait pas dans la chambre. Il se servit de son mouchoir.

Quand il se redressa enfin, il était grognon.

— Évidemment !

— Évidemment quoi ?

— Elle ne fera pas de vieux os ! Le cœur est archiusé. Par-dessus le marché, il est hypertrophié, et la tension artérielle est effrayante…

— C’est-à-dire qu’elle en a pour…

— Ça, c’est une autre question… S’il s’agissait d’une de mes clientes, je la mettrais au repos absolu, à la campagne, avec un régime extrêmement sévère…

— Pas d’alcool, évidemment !

— Surtout pas d’alcool ! Une hygiène parfaite !

— Et vous la sauveriez ?

— Je n’ai pas dit cela. Mettons que je la prolongerais d’un an…

Ils tendirent l’oreille en même temps, parce qu’ils venaient de remarquer le silence qui les entourait. Quelque chose manquait à l’ambiance, et ce quelque chose était le gémissement de Jaja.

Quand ils se retournèrent vers le lit, ils la virent la tête soulevée sur un bras, le regard dur, la poitrine haletante.

Elle avait entendu. Elle avait compris. Et c’est le petit docteur qu’elle semblait rendre responsable de son état.

— Vous vous sentez mieux ? questionna celui-ci pour dire quelque chose.

Alors, méprisante, elle se coucha à nouveau, sans mot dire, ferma les yeux.

Le médecin ne savait pas si l’on avait encore besoin de lui. Il se mit en devoir de ranger ses instruments dans sa trousse et il devait se tenir à lui-même un discours, car de temps en temps il hochait la tête d’un air approbateur.

— Vous pouvez aller ! lui dit Maigret quand il fut prêt. Je suppose qu’il n’y a plus rien à craindre ?

— Rien d’immédiat, en tout cas…

Lorsqu’il fut parti. Maigret s’assit sur une chaise, au pied du lit, bourra une pipe, car l’odeur de pharmacie qui régnait dans la chambre l’écœurait. De même cacha-t-il sous l’armoire, ne sachant où la mettre, la cuvette qui avait servi à laver la plaie.

Il était calme et lourd. Son regard était posé sur le visage de Jaja, qui paraissait plus bouffi que d’habitude. C’était peut-être parce que les cheveux, rejetés en arrière, étaient rares, découvrant un grand front bombé, orné d’une petite cicatrice au-dessus de la tempe.

À gauche du lit, le divan.

Jaja ne dormait pas. Il en était sûr. Le rythme de sa respiration était irrégulier. Les cils clos frémissaient souvent.

À quoi pensait-elle ? Elle savait qu’il était là, à la regarder. Elle savait maintenant que sa machine était détraquée et qu’elle n’en avait pas pour bien longtemps à vivre.

Qu’est-ce qu’elle pensait ? Quelles images passaient derrière ce front bombé ?

Et voilà que soudain elle se dressait, frénétique, d’un seul mouvement, regardait Maigret avec des prunelles égarées, lui criant :

— Ne me laissez pas !… J’ai peur !… Où est-il ?… Où est-il, le petit homme ?… Je ne veux pas…

Il s’approcha d’elle pour la calmer, et ce fut bien malgré lui qu’il dit :

— Reste tranquille, ma vieille !

Bien sûr, une vieille ! Une pauvre grosse vieille imbibée d’alcool, aux chevilles si enflées qu’elle marchait comme un éléphant.

Elle en avait fait, pourtant, des kilomètres et des kilomètres, là-bas, du côté de la Porte Saint-Martin, sur un même bout de trottoir !

Elle se laissait docilement repousser la tête sur l’oreiller. Elle ne devait plus être ivre. On entendait le sergent de ville qui, en bas, avait trouvé une bouteille et qui se servait à boire, tout seul dans l’arrière-boutique. Du coup, elle tendit l’oreille, questionna, anxieuse :

— Qui est-ce ?

Mais d’autres bruits lui parvenaient. Des pas, dans la ruelle, encore loin, puis une voix de femme à bout de souffle – car elle marchait vite ! — qui questionnait :

— … Pourquoi n’y a-t-il pas de lumière dans le bar ?… Est-ce que…

— Chut… Ne faites pas trop de bruit…

Et des petits coups frappés sur les volets. L’agent d’en bas qui allait ouvrir. Des bruits encore, dans l’arrière-boutique, et enfin les pas de quelqu’un qui s’élançait dans l’escalier.

Jaja, affolée, regardait Maigret avec angoisse. Elle faillit même crier en le voyant se diriger vers la porte.

— Pouvez aller, vous autres ! lança le commissaire en s’effaçant pour laisser entrer Sylvie.

Et celle-ci s’arrêtait soudain au milieu de la pièce, la main sur son cœur qui battait trop vite. Elle avait oublié son chapeau. Elle ne comprenait rien. Elle regardait le lit avec des prunelles fixes.

— Jaja…

En bas, celui qui avait déjà bu devait servir l’autre, car des verres s’entrechoquaient. Puis la porte d’entrée s’ouvrit et se ferma. Des pas s’éloignèrent dans la direction du port.

Maigret faisait si peu de bruit, bougeait si peu qu’on pouvait oublier sa présence.

— Ma pauvre Jaja…

Et pourtant Sylvie ne s’élançait pas. Quelque chose la retenait : le regard glacé que la vieille braquait sur elle.

Alors Sylvie se tournait vers Maigret, balbutiait :

— Est-ce que ?…

— Est-ce que quoi ?

— Rien… Je ne sais pas… Qu’est-ce qu’elle a ?…

Chose étrange : malgré la porte fermée, malgré l’éloignement, on entendait le tic-tac du réveille-matin, si rapide, si saccadé qu’on avait l’impression que, pris de vertige, il allait se briser.

Une nouvelle crise de Jaja était proche. On la sentait naître, animer peu à peu tout son gros corps mou, allumer ses yeux, dessécher sa gorge. Mais elle se raidissait. Elle faisait un effort pour se contenir tandis que Sylvie, désemparée, ne sachant que faire, ni où aller, ni comment se tenir, restait au milieu de la chambre, tête baissée, mains jointes sur sa poitrine.

Maigret fumait. Il était désormais sans impatience. Il savait qu’il avait fermé le cercle.

Il n’y avait plus de mystère, plus d’imprévu possible. Chaque personnage avait pris sa place : les deux Martini, la jeune et la vieille, dans la villa où elles procédaient à l’inventaire avec l’aide de M. Petitfils ; Harry Brown au Provençal, où il attendait sans fièvre le résultat de l’enquête, tout en dirigeant ses affaires par téléphone et télégraphe…

Joseph en prison…

Et voilà que Jaja se dressait enfin, à bout de patience, à bout de nerfs. Elle regardait Sylvie avec rage. Elle la désignait de sa main valide.

— C’est elle !… C’est ce poison !… C’est cette p… !

Elle avait hurlé le plus gros mot de son vocabulaire. Des larmes lui giclaient des paupières.

— Je la hais, entendez-vous !… Je la hais !… C’est elle !… Elle m’a donné longtemps le change !… Et savez-vous comment elle m’appelait ?… Lavieille !… Oui ! La vieille !… Moi qui…

— Couche-toi, Jaja, dit Maigret. Tu vas te faire du mal…

— Oh ! vous…

Et soudain, avec un renouveau d’énergie :

— Mais je ne me laisserai pas faire !… Je n’irai pas à Haguenau… Vous entendez !… Ou alors elle ira aussi… Je ne veux pas… Je ne veux pas…

Elle avait la gorge si sèche qu’elle cherchait instinctivement à boire autour d’elle.

— Va chercher la bouteille ! dit Maigret à Sylvie.

— Mais… elle est déjà…

— Va…

Et il marcha vers la fenêtre, s’assura qu’on ne les observait plus de la maison d’en face. En tout cas, il ne vit rien derrière les vitres.

Un bout de ruelle aux pavés inégaux… Un réverbère… L’enseigne du bar d’en face…

— Je sais bien que vous la protégez, parce qu’elle est jeune… Peut-être même qu’elle vous a déjà fait des propositions, à vous aussi…

Sylvie revenait, les yeux cernés, le corps las, tendait à Maigret une bouteille de rhum à moitié pleine.

Et Jaja ricanait :

— Maintenant que je vais crever, je peux, n’est-ce pas ?… J’ai bien entendu le docteur…

Mais rien que cette idée-là la mettait en effervescence. Elle avait peur de mourir. Ses yeux en devenaient hagards.

Pourtant elle prit la bouteille. Elle but, avidement, en observant tour à tour ses deux compagnons.

— La vieille qui va crever !… Mais je ne veux pas !… Je veux qu’elle crève avant moi… Car c’est elle…

Elle s’arrêtait soudain de parler, comme quelqu’un qui perd le fil de ses idées. Maigret ne faisait pas un mouvement, attendait.

— Elle a parlé ?… Je suis sûre qu’elle a parlé, sinon on ne l’aurait pas relâchée… Tandis que moi, j’ai essayé de l’en faire sortir… Car ce n’est pas vrai que Joseph m’ait envoyée chez le fils, à Antibes… C’est moi seule… Comprenez-vous ?…

Mais oui ! Maigret comprenait tout ! Il y avait une bonne heure qu’il n’avait plus rien à apprendre.

Il désigna le divan, d’un geste vague.

— Ce n’était pas William qui couchait là, pas vrai ?

— Non, il ne couchait pas là !… Il couchait ici, dans mon lit !… William était mon amant !… William venait pour moi, pour moi seule, et c’est elle, que je recevais par charité, qui occupait le divan… Vous ne vous en étiez pas encore douté ?…

Elle criait tout cela d’une voix rauque. Désormais, il n’y avait qu’à la laisser parler. Cela remontait du plus profond d’elle-même. C’était tout le vieux fond qui était mis à jour, la vraie Jaja, la Jaja toute nue.

— La vérité c’est que je l’aimais, qu’il m’aimait !… Il comprenait, lui, que si je n’ai pas reçu d’instruction, d’éducation, ce n’est pas ma faute… Il était heureux près de moi… Il me le disait… Cela lui faisait du mal de partir… Et, quand il arrivait, c’était comme un écolier qu’on met enfin en vacances…

Elle pleurait tout en parlant, et cela provoquait une étrange grimace que la lumière rose de l’abat-jour rendait plus hallucinante encore.

Surtout qu’elle avait tout un bras prisonnier d’un appareil !

— Et je ne me doutais de rien ! J’étais bête ! On est toujours bête dans ces cas-là ! C’est moi qui invitais cette fille, qui la retenais, parce que je trouvais que la maison était plus gaie avec un peu de jeunesse…

Sylvie ne bougeait pas.

— Regardez-la ! Elle me nargue encore ! Elle a toujours été la même, et moi, grosse bête que j’étais, je prenais ça pour de la timidité… J’en étais tout émue… Quand je pense que c’est avec mes peignoirs qu’elle l’excitait en montrant tout ce qu’elle a à montrer !

« Car elle le voulait !… Elle et son maquereau de Joseph… William avait de l’argent, parbleu !… Et eux…

« Tenez ! le testament…

Et elle saisit la bouteille, but si goulûment qu’on entendait les glouglous dans sa gorge. Sylvie en profita pour regarder Maigret d’un air suppliant. Elle tenait à peine debout. On la voyait vaciller.

— C’est ici que Joseph l’a volé… Je ne sais pas quand… Sans doute un soir qu’on avait bu… William en avait parlé… Et l’autre a dû se dire que le fils paierait cher ce bout de papier…

Maigret écoutait à peine ce récit qu’il devinait. Par contre, il regardait la chambre, le lit, le divan…

William et Jaja…

Et Sylvie sur le divan…

Ce pauvre William qui, évidemment, devait faire la comparaison…

— Je me suis doutée de quelque chose quand, à la fin du déjeuner, j’ai vu Sylvie partir en lançant un coup d’œil à Will… Je ne le croyais pas encore… Mais tout de suite après son départ il a parlé de s’en aller à son tour… D’habitude, il ne quittait jamais la maison avant le soir… Je n’ai rien dit… Je me suis habillée…

La scène capitale, que Maigret avait reconstituée depuis longtemps ! Joseph qui venait rendre une courte visite et qui avait déjà le testament en poche ! Sylvie qui s’était habillée plus tôt que de coutume et qui avait mangé en costume de ville pour partir aussitôt après le repas…

Ces regards que Jaja surprenait… Elle ne disait rien… Elle mangeait… Elle buvait… Mais à peine William était-il parti qu’elle passait un manteau sur ses vêtements d’intérieur…

Plus personne dans le bar ! La maison vide ! La porte fermée…

Ils couraient les uns après les autres…

— Savez-vous où elle l’attendait ?… À l’Hôtel Beauséjour… Et moi, dans la rue, j’allais et je venais comme une folle… J’avais envie de frapper à leur porte, de supplier Sylvie de me le rendre… Au coin de la rue, il y a un marchand de couteaux… Et pendant qu’ils… pendant qu’ils étaient là-haut, je regardais la vitrine… Je ne savais plus… J’avais mal partout… Je suis entrée… J’ai acheté un couteau à cran d’arrêt… Je crois bien que je pleurais…

Перейти на страницу:
Прокомментировать
Подтвердите что вы не робот:*