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Simenon, Georges - La danseuse du Gai-Moulin

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Au coin de la rue Puits-en-Soc, ils obliquèrent, l’un vers la droite, l’autre vers la gauche, pour rentrer chacun chez soi.


— Il est libre, monsieur ! On a reconnu qu’il était innocent !

Et M. Chabot sortait de son bureau, attendait le tram 4, montait près du conducteur qui le connaissait depuis des années.

— Attention ! Pas de panne, hein !… Mon fils est libre !… Le commissaire lui-même vient de me téléphoner pour me dire qu’il avait reconnu son erreur…

On ne pouvait savoir s’il riait ou s’il pleurait. En tout cas, une buée l’empêchait de voir les rues familières qui défilaient.

— Dire que je serai peut-être chez moi avant lui !… Cela vaudrait mieux, parce que ma femme est capable de mal le recevoir… Il y a des choses que les femmes ne comprennent pas… Est-ce que vous avez cru un seul instant qu’il était coupable, vous ?… Entre nous ?…

Il était attendrissant. Il suppliait le wattman de dire non.

— Moi, vous savez…

— Vous aviez bien une opinion…

— Depuis que ma fille a dû se marier avec un propre à rien qui lui avait fait un enfant, je ne crois pas fort à la jeunesse d’aujourd’hui…


Maigret s’était assis dans le fauteuil que Jean Chabot venait de quitter, en face du bureau du commissaire Delvigne, et il avait pris le tabac de celui-ci, posé sur la table.

— Vous avez la réponse de Paris ?

— Comment savez-vous ?

— Allons ! vous auriez deviné comme moi… Et cette malle d’osier ? Est-ce qu’on a réussi à établir comment elle est sortie de l’Hôtel Moderne ?

— Rien du tout !

M. Delvigne était grognon. Il en voulait à son collègue parisien.

— Entre nous, vous vous payez notre tête, hein ! Avouez que vous savez quelque chose…

— À mon tour de répondre : rien du tout ! Et c’est la vérité ! J’ai à peu près les mêmes éléments d’enquête que vous ! À votre place, j’aurais agi comme vous et j’aurais relâché ces deux gamins ! Par exemple, j’essaierais de savoir ce que Graphopoulos a bien pu voler au Gai-Moulin…

— Volé ?

— Ou essayé de voler !

— Lui ?… Le mort ?…

— Ou qui il a bien pu tuer…

— Je ne comprends plus !

— Attendez ! Tuer ou essayer de tuer…

— Vous voyez que vous possédez des renseignements qui me font défaut…

— Si peu ! La principale différence entre nous est que vous venez de passer des heures agitées, à courir d’ici au Parquet, à recevoir des gens et des communications téléphoniques, tandis que j’ai joui de la tranquillité la plus complète dans ma cellule de Saint-Léonard…

— Et vous avez réfléchi à vos treize points ! riposta M. Delvigne, non sans une pointe d’aigreur.

— Pas encore à tous… À quelques-uns…

— Par exemple, à la malle d’osier !

Maigret esquissa un sourire béat.

— Encore ?… Allons ! il vaut mieux que je vous dise tout de suite que cette malle, c’est moi qui l’ai emportée de l’hôtel…

— Vide ?

— Jamais de la vie ! Avec le cadavre dedans !

— Si bien que vous prétendez que le crime ?…

— A été commis à l’Hôtel Moderne, dans la chambre de Graphopoulos. Et c’est bien là le plus ennuyeux de l’histoire… Vous n’avez pas d’allumettes ?…


IX


L’indicateur

Maigret se cala dans son fauteuil, eut une hésitation, comme c’était son habitude quand il allait commencer une longue explication, chercha le ton le plus simple.

— Vous allez comprendre comme moi et vous ne m’en voudrez plus d’avoir un peu triché. Prenons d’abord la visite de Graphopoulos à la Préfecture de Paris. Il demande la protection de la police. Il ne donne aucune explication. Dès le lendemain, il agit comme s’il regrettait sa démarche.

» La première hypothèse, c’est que c’est un fou, ou un maniaque, un homme que hante l’idée de la persécution…

» La seconde, c’est qu’il se sait vraiment menacé mais qu’à la réflexion il ne se croit pas plus en sûreté sous la garde de la police…

» La troisième, c’est qu’il a eu besoin, à un moment donné, d’être surveillé…

» Je m’explique. Voilà un homme d’âge mûr, jouissant d’une sérieuse fortune et en apparence absolument libre. Il peut prendre l’avion ou le train, descendre dans n’importe quel palace.

» Quelle menace est capable de l’effrayer au point de le faire recourir à la police ? Une femme jalouse parlant de le tuer ? Je n’en crois rien. Il lui suffit de mettre un certain nombre de kilomètres entre elle et lui.

» Un ennemi personnel ? Un homme comme lui, fils de banquier, est de taille à le faire arrêter !

» Non seulement il a peur à Paris, mais il a peur en train et il a encore peur à Liège…

» D’où je conclus que, contre lui, ce n’est pas un individu qui se dresse, mais une organisation, et une organisation internationale.

» Je répète qu’il est riche. Des bandits en voulant à son argent ne le menaceraient pas de mort et, en tout cas, il se ferait protéger efficacement contre eux en les dénonçant.

» Or, il continue à avoir peur quand la police est sur ses talons…

» Une menace pèse, une menace qui existe dans n’importe quelle ville où il ira, dans n’importe quelles circonstances !

» Exactement comme s’il avait fait partie de quelque société occulte et comme si, l’ayant trahie, il avait été condamné par elle…

» Une maffia, par exemple !… Ou un service d’espionnage !… On trouve de nombreux Grecs dans les services d’espionnage… Le 2e Bureau nous dira ce que faisait le père Graphopoulos pendant la guerre…

» Mettons que le fils ait trahi, ou simplement que, lassé, il ait manifesté son intention de reprendre sa liberté. On le menace de mort. On l’avertit que la sentence sera exécutée tôt ou tard. Il vient me trouver, mais dès le lendemain il comprend que cela ne servira de rien et, inquiet, il s’agite comme un fou.

» Le contraire est aussi possible…

— Le contraire ? s’étonna M. Delvigne qui écoutait avec attention. J’avoue que je ne comprends pas.

— Graphopoulos est ce qu’on appelle un fils à papa. Il est désœuvré. Au cours de ses voyages, il s’affilie à une bande quelconque, à une maffia ou à un organisme d’espionnage, en amateur, en curieux de sensations. Il s’engage à obéir aveuglément à ses chefs. Un jour, on lui ordonne de tuer…

— Et il s’adresse à la police ?

— Suivez-moi bien ! On lui commande par exemple de venir tuer quelqu’un ici, à Liège. Il est à Paris. Nul ne le soupçonne. Il répugne à obéir et, pour éviter de le faire, il s’adresse à la police, se fait suivre par elle. Il téléphone à ses complices qu’il lui est impossible d’accomplir sa tâche étant donné qu’il a des agents sur les talons. Seulement, les complices ne se laissent pas impressionner et lui ordonnent d’agir quand même… C’est la seconde explication… Ou bien l’une des deux est bonne, ou bien notre homme est fou et, s’il est fou, il n’y a aucune raison pour qu’il soit réellement tué !

— C’est troublant ! approuva sans conviction le commissaire Delvigne.

— En résumé, quand il quitte Paris, il vient à Liège pour tuer quelqu’un ou pour se faire tuer.

Et la pipe de Maigret grésillait. Il disait tout cela de sa voix la plus naturelle.

— Au bout du compte, c’est lui qui est tué, mais cela ne prouve rien. Reprenons les événements de la soirée. Il se rend au Gai-Moulin et il y passe la soirée en compagnie de la danseuse Adèle. Celle-ci le quitte et m’accompagne dehors. Quand je reviens, le patron et Victor s’en vont. La boîte est vide en apparence. Je crois Graphopoulos parti et je le cherche dans les autres cabarets de la ville…

« À quatre heures du matin, je rentre à l’Hôtel Moderne. Avant de regagner ma chambre, j’ai la curiosité d’aller m’assurer que mon Grec n’est pas rentré. L’oreille collée à la porte, je n’entends aucune respiration. J’entrouvre l’huis et je le trouve, tout habillé, au pied de son lit, le crâne défoncé par un coup de matraque.

« Voilà, résumé aussi brièvement que possible, mon point de départ. Le portefeuille a disparu. Dans la chambre, il n’y a pas un papier capable de me renseigner, pas une arme, pas une trace…

Mais le commissaire Maigret n’attendit pas la réponse de son collègue.

— Je vous ai parlé en commençant de maffia et d’espionnage, en tout cas d’une organisation internationale quelconque, seule capable à mon sens d’être à la base de cette affaire. Le crime est commis avec un art parfait. La matraque a disparu. Il n’y a pas le moindre semblant de piste, la moindre amorce susceptible de donner un sens raisonnable à l’enquête.

« Que celle-ci commence à l’Hôtel Moderne, dans les conditions habituelles, et il est à peu près certain qu’elle ne donnera rien !

« Les gens capables d’avoir fait ce coup-là ont pris leurs précautions. Ils ont tout prévu !

« Et, parce que je suis persuadé qu’ils ont tout prévu, je brouille les cartes. Ils ont abandonné le cadavre à l’Hôtel Moderne ? Très bien ! je le transporte, moi, dans une malle d’osier, au Jardin d’acclimatation, avec la complicité d’un chauffeur de taxi qui, entre nous, a accepté de se taire moyennant cent francs, ce qui n’est vraiment pas cher…

« Le lendemain, c’est là qu’on découvre le cadavre. Est-ce que vous imaginez la tête de l’assassin ? Est-ce que vous vous figurez son inquiétude ?

« Et n’y a-t-il pas des chances pour que, dérouté, il commette une imprudence ?

« Je pousse la prudence, moi, jusqu’à rester inconnu de la police locale. Il ne faut pas une seule indiscrétion.

« J’étais au Gai-Moulin. Selon toutes probabilités, l’assassin y était aussi. Or, je possède la liste des consommateurs de la nuit et je me renseigne sur eux, en commençant par les deux jeunes gens qui paraissaient bien nerveux.

« Le nombre des coupables possibles est faible : Jean Chabot, René Delfosse, Genaro, Adèle et Victor…

« Au pis aller, un des musiciens ou le deuxième garçon, Joseph. Mais je préfère éliminer d’abord les jeunes gens…

« Et c’est au moment où j’essaie d’en finir avec eux que vous intervenez ! Arrestation de Chabot ! Fuite de Delfosse ! Les journaux qui annoncent que le crime a été commis au Gai-Moulin même !

Maigret poussa un grand soupir, changea la position de ses jambes.

— Un instant, j’ai cru que j’avais été roulé ! Il n’y a pas de honte à l’avouer ! Cette assurance de Chabot prétendant que le cadavre était dans le cabaret un quart d’heure après la fermeture…

— Il l’a pourtant vu ! riposta le commissaire Delvigne.

— Pardon ! Il a vu vaguement, à la lueur d’une allumette qui n’a brûlé que quelques secondes, une forme étendue sur le sol. C’est Delfosse qui prétend avoir reconnu un cadavre… Un œil ouvert, l’autre fermé, comme il dit… Mais n’oubliez pas qu’ils sortaient tous les deux d’une cave où ils étaient restés longtemps immobiles, qu’ils avaient peur, que c’était leur premier cambriolage…

» Delfosse a machiné celui-ci. C’est lui qui a entraîné son compagnon. Et c’est lui qui flanche le premier en voyant un corps par terre ! Un garçon nerveux, maladif, vicieux ! Autrement dit un garçon qui a de l’imagination !

» Il n’a pas touché le corps ! Il ne s’en est pas approché ! Il ne l’a pas éclairé une seconde fois ! Tous les deux se sont enfuis, sans ouvrir le tiroir-caisse…

» Voilà pourquoi je vous ai conseillé de rechercher ce que Graphopoulos venait faire au Gai-Moulin après avoir feint d’en sortir…

» Nous ne sommes pas en présence d’un crime passionnel, ni d’un crime crapuleux, ni d’un vol banal. C’est exactement le genre d’affaire que, la plupart du temps, la police n’arrive pas à éclaircir, parce qu’elle se trouve en face de gens trop intelligents et trop bien organisés !

» Et c’est la raison pour laquelle je me suis fait arrêter. Brouiller les cartes toujours ! Faire croire aux coupables qu’ils ne risquent rien, que l’enquête dévie !

» Provoquer ainsi une imprudence…

M. Delvigne ne savait pas encore que penser. Il continuait à regarder Maigret avec ressentiment et sa physionomie était si drôle que celui-ci éclata de rire, prononça sur un ton de cordialité bourrue :

— Allons ! ne me faites pas la tête !… J’ai triché, c’est entendu ! Je ne vous ai pas dit tout de suite ce que je savais !… Ou plutôt je n’ai caché qu’une chose : l’histoire de la malle d’osier… Par contre, il y a un élément que vous possédez et que je ne possède pas…

— Lequel ?

— Peut-être le plus précieux à l’heure actuelle. Au point que c’est pour l’avoir que je vous ai dit tout ce qui précède. La malle a été retrouvée au Jardin d’acclimatation. Graphopoulos n’avait qu’une carte de visite sur lui sans adresse.

» Et pourtant, l’après-midi déjà, vous étiez au Gai-Moulin et vous saviez que Chabot et Delfosse s’étaient cachés dans l’escalier. Par qui ?

M. Delvigne sourit. C’était son tour de triompher. Au lieu de parler tout de suite, il alluma lentement sa pipe, tassa la cendre du bout de l’index.

— Naturellement, j’ai mes indicateurs… dit-il d’abord.

Et il prit encore un temps, éprouva même le besoin de remuer quelques papiers.

— Je suppose qu’à Paris vous êtes organisé également à ce sujet. En principe, tous les patrons de cabaret me servent d’indicateurs. Moyennant quoi on ferme les yeux sur certaines petites infractions…

— Si bien que c’est Genaro…

— Lui-même !

— Genaro est venu vous dire que Graphopoulos avait passé la soirée dans son établissement ?

— C’est cela !

— C’est lui qui a découvert les cendres de cigarette dans l’escalier de la cave ?

— C’est Victor qui lui a fait remarquer ce détail et il m’a prié de venir voir les traces par moi-même…

Maigret se renfrognait à mesure que son collègue reprenait de l’optimisme.

— Cela n’a pas traîné, avouez-le ! poursuivit M. Delvigne. Chabot a été arrêté. Et, sans l’intervention de M. Delfosse, les deux jeunes gens seraient encore en prison. S’ils n’ont pas tué, ce qui n’est pas encore prouvé, ils ont tout au moins tenté de cambrioler l’établissement…

Il observa son interlocuteur, retint mal un sourire ironique.

— Cela a l’air de vous troubler…

— C’est-à-dire que cela ne simplifie rien !

— Qu’est-ce qui ne simplifie rien ?

— La démarche de Genaro.

— Avouez que c’est lui que vous considériez comme l’assassin…

— Pas plus lui qu’un des autres. Et sa démarche, au surplus, ne prouve rien. Tout au plus indiquerait-elle qu’il est très fort.

— Vous voulez rester en prison ?

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